Le Cambodge doit évaluer l’impact sur l’Internet de son projet d’acheminer tout le trafic Internet par une « passerelle Internet nationale ».
Alors que la date limite pour que les fournisseurs d’accès à Internet et les entreprises de télécommunications se connectent à la passerelle avait été fixée au 16 février 2022, les plans auraient été reportés à une date non précisée.
Mais ce report ne change rien à la nature de cette passerelle, il ne fait que repousser à plus tard des effets inquiétants. En fait, dans une note d’information sur l’impact de l’Internet récemment publiée, nous constatons que la passerelle saperait les éléments essentiels qui font de l’Internet une ressource ouverte, connectée au niveau mondial, sécurisée et digne de confiance pour tous.
La passerelle nationale gérera tout le trafic Internet local et international, qu’il soit entrant ou sortant. Selon le décret, elle vise à « renforcer l’efficacité et l’efficience de la collecte des recettes nationales » et à soutenir « la protection de la sécurité nationale et la préservation de l’ordre social, de la culture et des traditions nationales ». Cependant, une grande partie de la substance du décret est indéfinie et non précisée.
Tous les réseaux transfrontaliers qui sont actuellement autorisés par le gouvernement cambodgien doivent être réacheminés et mis à jour avant la date limite. En outre, tous les opérateurs de réseau doivent se connecter à cette date à la passerelle, qui ne dispose d’installations que dans quatre endroits du pays.
Un impact sévère sur le rayonnement mondial de l’Internet
L’autorité cambodgienne des télécommunications désignera des fournisseurs pour gérer la passerelle nationale qui achemine tout le trafic Internet entrant et sortant du pays, de sorte qu’aucun autre réseau ne pourra accéder directement ou indépendamment à l’Internet mondial. Cette mesure aura un impact considérable sur la portée mondiale d’un réseau et limitera la collaboration entre le Cambodge et le reste du monde en dressant des barrières dans notre écosystème Internet.
Comme les réseaux ne sont pas autorisés à s’interconnecter là où cela a le plus de sens pour eux sur le plan technique et commercial, il en résultera probablement une dégradation importante des performances du réseau et une augmentation des coûts.
Étant donné que la majeure partie du trafic Internet dans le pays est alimentée par du contenu provenant de sociétés étrangères, comme Meta (Facebook), Google et TikTok, et que seule une petite partie est générée localement, les talents, les innovations et le développement technologique du Cambodge seront probablement freinés.
Compte tenu du large éventail de responsabilités que le décret confère aux opérateurs de passerelles, notamment la facilitation de la collecte des recettes publiques et la protection de la sécurité nationale, il est presque certain que le contenu passant par la passerelle sera intercepté et inspecté. Si l’on ajoute à cela le fait que les fournisseurs d’accès à Internet, y compris les entreprises de télécommunications, doivent vérifier l’identité des utilisateurs et que les opérateurs de passerelles doivent conserver les données techniques des utilisateurs pendant un an, il est fort probable que la vie privée de tous les Cambodgiens sera sérieusement compromise.
Si le contenu et le calendrier de la mise en œuvre de la passerelle nationale restent flous, ses objectifs et sa structure présentent clairement des risques qui pourraient affaiblir considérablement la capacité de toute personne dans le pays à préserver la confidentialité et l’intégrité de ses communications, par exemple en affaiblissant ou en cassant le cryptage.
La sévérité des sanctions incitera probablement les opérateurs de passerelles à prendre des précautions pour ne pas être tenus responsables des données ciblées qui transitent par leurs réseaux. Ils mettront probablement en œuvre des mesures techniques pour bloquer les ressources en ligne, mais ces techniques ont généralement pour effet de « surbloquer » les contenus légitimes, ce qui entraîne des dommages collatéraux et des restrictions accrues sur l’Internet.
Étant donné qu’aucun autre réseau dans le pays ne peut légalement accéder directement ou indépendamment à l’Internet mondial, les innovations en matière de connectivité transfrontalière, telles que les satellites en orbite basse (LEO), qui peuvent connecter des zones éloignées, rurales ou mal desservies, ne pourront pas fonctionner de manière flexible à l’intérieur et au-delà des frontières du Cambodge. D’autres technologies innovantes seront freinées par les restrictions techniques de la passerelle et ne pourront pas atteindre leur plein potentiel.
Mauvaise qualité de service et accès restreint
Toutes ces mesures, et d’autres détaillées dans la fiche d’impact sur l’Internet, n’affecteront pas seulement l’infrastructure Internet du Cambodge. Pour les utilisateurs finaux, cela peut également signifier une moindre qualité de service en général, car leur expérience en ligne, comme la diffusion de vidéos et les appels entre appareils, sera probablement plus lente et moins stable.
Ces changements limiteront l’accès du Cambodge aux technologies et aux connaissances mondiales et l’isoleront dans l’ère numérique. La passerelle sera préjudiciable à toutes les entreprises et à tous les utilisateurs d’Internet en Asie du Sud-Est et au-delà.
Nous demandons aux autorités cambodgiennes d’entreprendre une évaluation complète et solide de l’impact sur l’Internet afin d’identifier les préjudices potentiels pour l’Internet résultant de la passerelle.
Elle devrait encourager activement les réseaux du pays à se connecter librement à l’Internet mondial, et les opérateurs de réseau à collaborer pour fournir une qualité de service optimale aux utilisateurs, afin de libérer l’énorme potentiel du pays dans notre ère numérique.
Les choix que nous faisons aujourd’hui auront un impact sur l’avenir de l’internet. Sa trajectoire dépendra des décisions éclairées que nous prendrons tous pour donner la priorité au développement social, à la prospérité économique et aux innovations qui amplifient le meilleur de l’humanité.