Cet article a été initialement publié dans The Hill.
Jeudi, le président des États-Unis a signé un décret qui vise à examiner le mécanisme de responsabilité des entreprises fournissant des services de réseaux sociaux. De nombreux rapports ont souligné les problèmes liés à cette décision, mais l’un d’entre eux en particulier nous semble inquiétant : le danger de politiser ce qui est fondamentalement un débat juridique autour des lignes de parti.
Le président se doit de rester en dehors de ce débat.
L’Internet et la politique ont toujours entretenu une relation délicate. Au fil des ans, de nombreuses tentatives ont été faites pour intégrer l’Internet dans la politique générale, mais la plupart n’ont pas abouti. La raison principale est que l’Internet n’est pas une « chose » statique, mais un modèle de collaboration volontaire entre les réseaux et les ordinateurs. Une caractéristique essentielle de ce modèle est qu’il est décentralisé, ce qui signifie qu’aucun point de contrôle central ne dicte comment l’Internet doit évoluer. Il n’y a pas d’interrupteur que l’on peut allumer et éteindre, et dès que les décideurs politiques ou les régulateurs tentent d’en imposer un, ils s’attaquent inévitablement à l’Internet lui-même. Cette caractéristique a toujours été son atout principal, et la raison pour laquelle il a été une source infinie d’innovation et de croissance – notamment du Web aux foyers et appareils intelligents en constante évolution. Cette absence de contrôle central est une caractéristique de l’internet, pas un bogue !
La plupart des premiers cadres juridiques qui ont été mis en œuvre sur l’internet reflètent ce principe apolitique, bien qu’à des niveaux et à des degrés différents. Mais aucune autre loi ne le met aussi bien en évidence que l’article 230 du Communications Decency Act aux États-Unis, qui sous-tend la « responsabilité des intermédiaires » en ligne.
La protection de la responsabilité des intermédiaires en ligne est apparue pour la première fois aux États-Unis en 1995, sous la forme d’un débat politique concernant le champ d’application de la responsabilité des intermédiaires. À l’époque, il n’y avait ni Facebook ni Twitter, la loi visait donc des services comme CompuServe, Prodigy et AOL. Cependant, elle a donné le ton pour tous les services futurs et a ensuite été adoptée comme l’une des évolutions juridiques les plus positives d’Internet. La question était simple : les intermédiaires devraient-ils être responsables du contenu publié en utilisant leurs services ou des actions réalisées par des tiers, c’est-à-dire leurs utilisateurs ?
Cette question allait fondamentalement façonner l’avenir de l’internet. Elle décourageait les tentatives de contrôle centralisé car elle n’obligeait pas les fournisseurs à remplir des fonctions qu’ils n’étaient pas censés remplir à l’origine. Tout comme les services de télécommunications ne sont pas responsables de ce que les utilisateurs disent au téléphone, il était clair que les intermédiaires en ligne et les fournisseurs de services auraient besoin de restrictions de bon sens similaires pour délimiter leurs responsabilités.
L’immunité de responsabilité garantit des conditions de concurrence équitables et donne à un ensemble diversifié d’acteurs l’autonomie nécessaire pour remplir les fonctions qui leur sont assignées. Dans ce contexte, l’article 230 assurait la prévisibilité dans l’environnement hautement imprévisible de l’internet. Personne ne peut prédire la prochaine innovation ; l’internet est conçu de cette manière. L’environnement hautement imprévisible de l’internet ne peut s’épanouir pleinement que s’il fonctionne dans un cadre juridique dont l’intention est évidente et les aboutissements sans surprise. C’est ce que fait l’article 230. Le politiser reviendrait à inverser des années de cette prévisibilité et pourrait mettre en péril le potentiel futur de l’Internet.
Dans cette optique, on peut voir à quel point le décret est problématique, créant un dangereux précédent tant pour l’Internet que pour la liberté d’expression. Le problème est qu’une grande partie des dispositions de cet arrêté semble être ce que la directrice de la responsabilité des intermédiaires de Stanford, Daphne Keller, appelle « atmosphérique » – des questions d’ordre politique qui ne devraient pas faire partie du débat juridique lié à la portée des protections en matière de responsabilité des intermédiaires. Elles constituent une distraction, qui pourrait entraîner une série de conséquences imprévues pour l’évolution de l’Internet.
Si les conversations sur l’évolution de la portée de l’article 230 sont saines, elles ne devraient pas être fondées sur des motivations politiques à la mode. L’article 230 a un passé historique de promotion de l’innovation et de la créativité en ligne. En le séparant de la politique partisane, nous pouvons nous assurer que ces avantages sont préservés.
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