Une jeune personne fait défiler Instagram pour voir les dernières actualisations de ses profils préférés. Pour nombre de personnes dans le monde, il n’y a rien d’étrange à cela, mais pour un hameau à l’extérieur d’un petit village du sud-ouest rural de l’Indonésie, c’est une véritable révolution. Nous devons cette révolution en partie au travail d’un entrepreneur Internet nommé Gustaff Harriman Iskandar.
Artiste professionnel passionné, M. Iskandar s’est plongé dans le domaine de la technologie par souci de faire connaître des œuvres artistiques au monde entier par le biais d’Internet. Cette passion, combinée à ses études au département des beaux-arts de l’Institut de technologie de Bandung, où il s’est lié d’amitié avec de nombreux ingénieurs et spécialistes de la technologie, l’a amené à s’intéresser aux moyens de fournir un accès à Internet à d’autres personnes en Indonésie. Il utilise ses compétences en communication pour faciliter des projets tels qu’un réseau communautaire à Ciptagelar.
« Je n’ai qu’une connaissance très moyenne du monde de la technologie et de l’Internet », a-t-il déclaré. « J’aime collaborer avec les gens et découvrir les compétences et les intérêts d’autrui. Mon aptitude vient de ma formation artistique où je développe mes œuvres d’art avec une approche participative. »
M. Iskandar s’efforce de connecter la technologie et l’art depuis la fin des années 1990. Son expérience le rend particulièrement apte à apporter son aide à Ciptagelar, un petit village indigène entouré d’une forêt dense, où son travail de facilitation de la politique en matière d’écotourisme l’a finalement amené à promouvoir la connectivité.
« Notre intérêt commun est Internet ».
Le village a besoin du tourisme pour injecter de l’argent dans l’économie locale, mais son environnement naturel doit être préservé. Les visiteurs sont donc encouragés à voyager de manière responsable et à contribuer à améliorer la vie des populations locales plutôt que de les ignorer ou de modifier l’environnement de quelque manière que ce soit. Internet peut aider à faire passer ce message au public.
« La façon dont ils protègent la forêt afin d’accroître leur résilience face à l’augmentation de la population est importante », a déclaré M.Iskandar. « Ils protègent la forêt parce qu’ils ont besoin de protéger leur culture. Notre intérêt commun, c’est Internet. »
M. Iskandar crée des équipes composées de personnes qui ne se connaissent pas. Son principal projet, The Common Room, a commencé comme une plateforme de partage d’art et un centre communautaire, avant de devenir une organisation à but non lucratif qui travaille avec des gouvernements, des communautés et d’autres organisations pour financer et réaliser des projets sur Internet. C’est ce qu’ils ont fait à Ciptagelar, où son équipe est composée d’amis et de connaissances issus de son réseau actuel et croissant.
« C’est comme un melting-pot et un point de rencontre pour les gens de différents horizons qui souhaitent collaborer », a-t-il déclaré. « Nous avons impliqué les communautés locales de FAI, certaines organisations à but non lucratif, certains amis du gouvernement. Mon rôle est surtout celui d’un entremetteur. J’identifie les problèmes et les défis, et je trouve des solutions en impliquant des personnes ayant des talents et des horizons différents. »
The Common Room fonctionne désormais comme n’importe quelle organisation à but non lucratif, avec un conseil d’administration et plusieurs équipes opérationnelles. Ils se réunissent tous les deux ans pour voir ce qu’ils ont développé, mais aussi pour déterminer ce qu’ils vont développer dans un avenir proche.
« L’une des principales composantes du processus est mon intuition », a déclaré M. Iskandar. « L’autre est le réseau social. Si j’ai des idées, je lance des idées sur Twitter ou Facebook, mes amis réagissent, nous discutons, puis nous commençons à rédiger des plans et des concepts. L’Internet vous donne beaucoup d’outils utiles et fournit tout ce dont vous avez besoin pour collaborer. Parfois de parfaits inconnus s’intéressent à mes idées. Parfois, ce sont des amis de longue date qui ont un intérêt spécifique au bon moment. »
Une fois que les gens se sont engagés, The Common Room élabore le cadre de ces projets et activités, décide de leur orientation et se met au travail jusqu’à la prochaine réunion. Pour l’instant, nous nous concentrons sur les liens entre les communautés urbaines et rurales, y compris la création et la gestion de réseaux communautaires.
Les besoins des gens d’abord : Connecter les zones rurales
Pour connecter les zones rurales, M. Iskandar et son équipe ont mis en place des réseaux communautaires avec les chefs de village à leur tête. Selon lui, dans de nombreuses régions, le soutien du gouvernement est nécessaire pour l’octroi de licences et la mise en place de réglementations permettant aux communautés de construire leurs propres infrastructures et d’utiliser le spectre. Une fois que les gens peuvent mettre en place leur propre accès conformément aux réglementations en vigueur, l’Internet peut être mis à la disposition de leurs communautés mal desservies et contribuer à combler la fracture numérique observée notamment sur les îles éloignées.
« Nous apportons du matériel, mais c’est une zone très difficile d’accès », a déclaré M. Iskandar. « Comme aucune route, à proprement parler, permet d’y accéder, nous devons être prudents. Une voiture a brûlé récemment suite à un problème de moteur et plusieurs pneus ont beaucoup souffert. L’expérience est parfois très intense, mais nous sommes heureux de la vivre. Les habitants du village éprouvent un certain enthousiasme, car la connectivité Internet les aide à communiquer et à saisir de nouvelles opportunités. »
“Pour combler le fossé de la connectivité, M. Iskandar explique qu’il faut que les dirigeants locaux prennent des initiatives et que la cohésion sociale et l’inclusion des habitants soient au rendez-vous.
« Ainsi, pour nous, quand le chef d’une communauté autochtone manifeste une volonté forte de s’impliquer, d’avoir un meilleur accès à l’information, un tel volontarisme est exceptionnel », a-t-il dit, « et nous essayons maintenant de convaincre les autorités du village d’accueillir ces idées et d’étendre la connectivité. »
« Commencez avec un village, élargissez à six, puis continuez. »
M. Iskandar commence avec un seul village, précise-t-il. Son équipe travaille en collaboration avec la communauté pour construire une tour de liaison ou pour connecter la fibre optique, et ils enseignent à la communauté comment utiliser et entretenir cette infrastructure au fil du temps. M. Iskandar explique qu’il existe une formule spécifique pour tout rendre intelligible : faible coût, faible maintenance, faible consommation d’énergie grâce à la micro-hydraulique (qui est un type d’énergie hydroélectrique qui utilise le débit naturel de l’eau pour les villages qui n’ont pas beaucoup d’approvisionnement en énergie), faible courbe d’apprentissage (c’est-à-dire facile à comprendre et à apprendre, pas complexe en termes de configuration technique), et soutien local.
« L’Indonésie est trop grande, les gens doivent donc trouver un moyen de combler leurs besoins avec des infrastructures locales », a déclaré M. Iskandar. « Nous ne pouvons pas compter sur le gouvernement et les secteurs industriels ou les entreprises pour cela. Nous devons prendre les choses en main. »
L’Internet devient une bouée de sauvetage
Dans les zones rurales d’Indonésie, comme à Citpalgar, la connectivité et l’accès à Internet sont souvent relégués au second plan par rapport à des questions d’infrastructure plus urgentes comme les routes et la disponibilité de l’eau. Les gens vivent avec le strict minimum, et se retrouvent souvent isolés du monde, physiquement et autrement.
« En Indonésie, lorsqu’il s’agit de politique, la plupart des personnes travaillant au sein du gouvernement ont des idées en matière de connectivité qui n’aident pas vraiment les gens », a déclaré M. Iskandar. « Ils ne donnent pas la priorité aux besoins de la population. Ils veulent juste faire des choses plus tangibles. Internet n’est pas encore une priorité. »
La pandémie de COVID-19 a fait du développement des réseaux communautaires une priorité, a-t-il ajouté. M. Iskandar travaille avec les communautés rurales depuis mars 2020 pour les sensibiliser au virus et leur fournir du matériel d’éducation publique dans la langue locale. Ils ont coordonné leur action avec les dirigeants locaux afin de mettre en place une réponse à la pandémie, le cas échéant, et ont déployé une infrastructure Internet locale dans des zones reculées auxquelles il était auparavant impossible d’accéder.
« Nous appliquons les protocoles par anticipation », a déclaré M. Iskandar. « Jusqu’à présent, nous sommes satisfaits de pouvoir dire que les villages avec lesquels nous travaillons se trouvent dans la zone verte », mentionne-t-il, en référence à une mesure publique signifiant que ces endroits n’étaient pas encore dans un état critique en matière de lutte contre le COVID-19.
M. Iskandar a réussi à connecter une moyenne de 1 000 utilisateurs quotidiens d’Internet dans les petits hameaux et villages de la région côtière du sud de la province de Java Ouest. Avec des centaines de villages et quelque 25 à 30 000 personnes, il y a encore beaucoup de travail à faire. Il a l’intention de poursuivre son travail dans la région côtière du sud cette année.
« Commencez par un village, passez à six, puis continuez », explique-t-il. « L’un après l’autre, dans chaque village, la connexion se développe. Cela permet d’aider les entreprises locales et de créer de nouveaux emplois. Nous voyons l’initiative se développer. »
M. Iskandar affirme qu’avec l’aide de l’Internet Society, des personnes comme lui peuvent faire de même dans les zones rurales, non seulement en Indonésie, mais dans le monde entier.
« [L’Internet Society] peut contribuer à influencer ces initiatives dans de nombreux pays en fournissant les connaissances et en nous aidant à faire avancer l’agenda au niveau politique. Elle nous aide à trouver des sources et un soutien financier pour les zones mal desservies dans des endroits reculés », a-t-il déclaré. « Nous avons besoin d’une histoire intéressante à raconter pour inspirer les gens à suivre le même mouvement et à lancer les mêmes initiatives là où ils se trouvent. »
Son quotidien consiste à mener des projets et des activités par le biais de Common Room, à s’occuper de ses deux filles adolescentes et à gérer une ferme dans sa ville natale qu’il a héritée de sa famille.
« J’ai toujours rêvé que j’irais à Sukabumi, ma ville natale, bien connue pour son agriculture en raison de son sol fertile », a-t-il déclaré. « Nous cultivons du riz, des épices. Avant, je cultivais du gingembre et du maïs. Dans un avenir proche, mon projet personnel est de combiner les connaissances agricoles traditionnelles avec les nouvelles technologies. »
Avant de se lancer complètement dans l’agriculture, il veut laisser aux zones rurales de son pays une feuille de route pour construire elles-mêmes des réseaux communautaires.
« Nous travaillons actuellement à la préparation d’un guide complet, sur la manière de développer vos propres réseaux communautaires, puis nous organiserons des formations et des séances de facilitation, afin que d’autres personnes et groupes puissent en créer dans d’autres régions d’Indonésie. »
En somme, grâce au travail d’un artiste et de son vaste réseau d’amis et de bénévoles, davantage de personnes dans un plus grand nombre de régions d’Indonésie auront accès à la richesse et aux connaissances de l’échange mondial.