Parmi les quatre nouveaux points d’échange de trafic Internet en Amérique latine, le plus avancé est l’IXP.GT au Guatemala. Il a été lancé en novembre 2019 avec trois participants. Un peu plus d’un an plus tard, il en comptait déjà 10. La plupart sont des fournisseurs d’accès Internet (FAI), auxquels s’ajoute le réseau universitaire.
« L’IXP est la meilleure chose qui nous soit arrivée en 2020 ! », déclare Ariel Tello, ingénieur et chef de projet chez Señal Nacional, le fournisseur de câble et d’Internet du Guatemala, classé troisième pour les connexions résidentielles. « Depuis que nous nous sommes connectés à l’IXP.GT en août, nous avons doublé [voire triplé] la bande passante moyenne qui passe par l’IXP. En août, nous disposions en moyenne de 500 mégaoctets par seconde [Mo/s] de trafic vers l’IXP. Aujourd’hui, il arrive que nous atteignions 2 gigaoctets par seconde [Go/s]. »
Plus de trafic et un débit plus élevé
Collectivement, les membres de l’IXP.GT échangent déjà 4 Go/s de trafic en moyenne, confirme Marco Antonio To, ingénieur titulaire d’un doctorat en informatique et président de l’IXP.GT.
« Avant l’IXP, il fallait 30 à 40 millisecondes pour recevoir du contenu, maintenant, comptez 2 millisecondes ou moins », explique M. To. « Avec une latence plus faible, l’utilisateur a l’impression que l’Internet fonctionne mieux ».
En juin 2020, l’IXP.GT s’est connecté au Google Global Cache, ce qui lui permet de stocker localement des copies de vidéos YouTube et d’applications du PlayStore, tout en économisant le coût de ce trafic international. Lorsque le contenu est stocké à l’étranger, il est plus long à télécharger et coûte plus cher car les fournisseurs d’Internet doivent utiliser le trafic international pour l’obtenir.
M. Tello admet que le cache de Google est ce qui a motivé ses dirigeants à rejoindre l’IXP.
Économies et compétitivité des prix
Selon M. Tello, le fait de faire partie de l’IXP.GT a permis à Señal Nacional d’économiser au moins 15 % sur les paiements aux fournisseurs internationaux, ce qui lui a permis d’améliorer ses prix et sa capacité. Par exemple, en juillet, un client ayant un forfait mensuel de téléchargement de 1 Mo/s payait 149 quetzales (19 USD). Pour le même prix, il bénéficie désormais de trois fois plus de téléchargement (3 Mo/s).
« Lorsque Facebook arrivera, si l’entreprise réduit encore nos coûts de 20 %, nous continuerons à baisser les prix pour nos clients », ajoute M. Tello.
Un nœud Facebook, également appelé point de présence (POP), est en cours d’installation au Guatemala ; il sera le premier en Amérique centrale. Des connexions avec Cloudflare, Akamai, Netflix et d’autres réseaux de diffusion de contenu (CDN) sont également en cours de négociation, avec l’aide de la Latin American and Caribbean Internet Exchange Association (LAC-IX).
« Une fois que nous aurons obtenu davantage de CDN de la part de ces grandes entreprises génératrices de contenu, plus de 50 % du trafic sera créé localement », affirme M. To.
Il espère que le POP de Facebook, ainsi que d’autres services que seul l’IXP.GT peut offrir pour les infrastructures Internet critiques, contribueront à attirer les plus grands fournisseurs du Guatemala, y compris les deux seuls à offrir un service mobile, afin d’atteindre autant d’utilisateurs guatémaltèques que possible.
Un emplacement neutre
Outre sa fonction de président de l’IXP.GT, M. To est consultant, professeur et membre du conseil d’administration du Réseau guatémaltèque avancé pour la recherche et l’éducation (RAGIE). Il a également cofondé le chapitre de l’Internet Society au Guatemala en 2017.
L’Internet Society a contribué à la mise en place d’un comité technique pour l’IXP et a facilité les réunions avec les petits et moyens opérateurs. Les participants ont choisi un modèle à but non lucratif, avec M. To comme premier président, puisqu’il représentait également les universités du pays, par le biais de RAGIE.
Selon M. To, deux tentatives précédentes d’IXP ont échoué parce qu’ils n’ont pas réussi à trouver un emplacement neutre. La décision d’installer l’IXP.GT à KIO Networks, un centre de stockage de données, considéré comme neutre puisqu’il n’est pas un concurrent des FAI, découle d’une synergie entre l’Internet Society, Facebook et l’IXP.GT.
« [L’Internet Society] a toujours été impliquée dans le projet », déclare M. To. « Christian O’Flaherty [responsable principal du développement pour l’Amérique latine] était présent chez Facebook afin de négocier avec les représentants de KIO Mexico pour un POP et il m’a dit que ce serait bien qu’ils connaissent notre projet. Nous sommes donc allés discuter et le fait d’être chez KIO a permis de donner l’impulsion nécessaire à la création du POP de Facebook au Guatemala. »
Sécurité améliorée
Une fois que le trafic est échangé via l’IXP, il ne quitte plus le Guatemala, ce qui renforce la sécurité, selon M. To. Les acteurs d’autres pays ont moins de possibilités d’intervenir, de détourner le trafic ou de mener des cyberattaques.
Plusieurs banques nationales et institutions gouvernementales du Guatemala ont ainsi été convaincues de la pertinence de l’IXP. En fait, certaines banques sont en train de faire en sorte que leurs fournisseurs d’accès à Internet soient tenus d’être connectés à l’IXP.GT. Dans le cas contraire, les banques pourront changer de fournisseur, ou se connecter directement à l’IXP.GT.
M. Tello souligne l’importance d’avoir des banques au sein de l’IXP. En fait, il pense que cela devrait être obligatoire, afin que les données financières sensibles ne quittent pas le pays. D’autres pays d’Amérique latine réglementent même cela (comme le Brésil).
Plus grande résilience
L’IXP.GT est le troisième IXP actif en Amérique centrale (le Costa Rica et le Panama en avaient déjà un), et certains opérateurs régionaux font déjà transiter leur trafic Internet par le Guatemala.
L’IXP.GT contribue également à améliorer la stabilité et la résilience du réseau guatémaltèque. Quatre câbles de fibre optique partent du Guatemala par sa frontière avec le Honduras, et peuvent être endommagés par des catastrophes naturelles, comme des tremblements de terre ou des ouragans. Pour les ISP non membres, explique M. To, si les connexions internationales sont interrompues, l’Internet (y compris les sites et services locaux) peut cesser de fonctionner ou tourner au ralenti. C’est ce qui s’est produit en 2009, après le tremblement de terre qui a frappé le Honduras. Les câbles en place ont cédé, et le trafic Internet a dû être redirigé vers l’Amérique du Sud. Avec les inondations au Guatemala en décembre 2020, dues aux ouragans Eta et Iota, plusieurs câbles de fibre optique ont été endommagés, et de nombreux opérateurs ne se trouvant pas dans l’IXP ont enregistré des lenteurs.
Croissance future
Selon M. Tello, les avantages de l’IXP.GT pour les clients vont au-delà de prix, de vitesse, de sécurité et de résilience meilleurs. Les économies réalisées permettront également aux FAI d’atteindre les personnes non connectées.
« Nous voulons que tout le monde ait accès à l’Internet », déclare M. Tello. « Plus le coût est élevé, moins de personnes peuvent le rejoindre. Nous avons des clients dans diverses zones rurales, et nous voulons qu’ils bénéficient de prix abordables. Si nos coûts baissent, nous pourrons investir et nous développer davantage dans plus d’endroits sans accès à Internet. »
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