Avec l’intensification des protestations et les perturbations des réseaux sociaux signalées dans les semaines précédant les élections présidentielles béninoises du 11 avril 2021, de nombreuses organisations de défense de l’Internet et des droits civiques se sont montrées nerveuses face à la possibilité d’une nouvelle coupure d’Internet.
En effet, à l’occasion des élections législatives béninoises de 2019, l’accès à Internet a été coupé pendant près de 24 heures. Malheureusement, on observe une tendance mondiale inquiétante en matière de coupures d’Internet liées aux élections. En 2020, la coalition #KeepItOn d’Access Now a documenté 155 coupures dans 29 pays, dont 10 en Afrique. En outre, selon l’outil d’analyse des données de l’Internet Society, Pulse, on dénombre 98 coupures d’Internet au cours des 12 derniers mois.
Ainsi, deux mois avant les élections présidentielles, le chapitre béninois de l’Internet Society a commencé à monter une campagne de manière proactive, en approchant une foule d’organisations locales et internationales de défense des droits, notamment Access Now, Amnesty International Bénin, Citizen Voice and Action, l’Association des blogueurs du Bénin et Citizen 229, pour obtenir leur soutien.
« Access Now est réputée pour sa coalition #KeepItOn et pour sa dénonciation des coupures. Nous les avons donc contactés, ainsi que d’autres organisations locales avec lesquelles nous avions déjà entrepris des actions », explique Harold Adjaho, président du chapitre Internet Society du Bénin. « Nous avons décidé de rédiger une lettre ouverte appelant le gouvernement à ne pas suspendre l’accès à Internet avant, pendant ou après les élections. »
Avec ses partenaires, le chapitre du Bénin a contacté la presse locale et publié des messages sur les réseaux sociaux avec le hashtag #CoupezPasInternet (#DontCutInternet), qui ont été relayés par les messages et les partages d’au moins 30 blogueurs et partenaires.
Puis, le 8 avril, ils ont publié la lettre ouverte et en ont fait la publicité par le biais d’une conférence Facebook live et d’un Tweetup, ce qui leur a valu une couverture médiatique internationale.
Cette lettre ouverte condamne les coupures d’Internet qui constituent « un frein à la croissance car elles ont un impact financier immédiat sur l’économie nationale. Une coupure d’Internet au Bénin entraînerait une perte d’environ 918 millions de francs CFA par jour », soit environ 1,7 million de dollars de pertes économiques par jour. Il prévient que les coupures peuvent avoir des effets négatifs sur la connectivité mondiale, les relations internationales et les investissements à long terme, voire entraver le travail des services de santé en cas de pandémie.
Access Now a également envoyé sa version de la lettre ouverte par e-mail aux contacts gouvernementaux et aux fournisseurs d’accès à Internet.
Pendant les élections, le chapitre du Bénin a utilisé divers outils pour surveiller le trafic et la connectivité de l’Internet (comme l’outil de détection et d’analyse des pannes de l’Internet, dont le développement a été soutenu par l’Internet Society) et a été heureux de ne constater aucune perturbation.
« La pression internationale peut être un gros problème pour le gouvernement. Elle a un impact énorme », déclare M. Adjaho. « Pour ma part, je pense que nous les avons empêchés de suspendre le service [et les avons fait réfléchir]. Nous nous sommes concentrés sur les conséquences économiques que pourrait avoir une coupure. Le gouvernement prône des réformes économiques… et je pense qu’ils ont réalisé que s’ils avaient coupé Internet cette fois-ci, cela aurait été désastreux. »
Que la campagne ait été directement responsable de l’accès ininterrompu à Internet est difficile à prouver, admet Felicia Fauzia Anthonio, responsable de #KeepItOn chez Access Now.
« Le fait d’avoir pris ces engagements et que le gouvernement nous ait en quelque sorte écoutés, a été un résultat important », dit-elle. « Mais je ne peux le confirmer avec des preuves concrètes émanant du gouvernement, car nous n’avons malheureusement reçu aucun retour des autorités. Cependant, certains de nos partenaires m’ont appelée le jour des élections pour me faire part de leur ferme conviction que la lettre a eu un impact. »
M. Adjaho ajoute que même si la campagne a directement influencé la décision du gouvernement, il est peu probable qu’ils l’admettent publiquement.
« Ici, les politiciens sont très susceptibles. C’est un peu délicat, mais nous avons maintenu le cap parce que nous devions aller jusqu’au bout. Nous faisons de notre mieux pour rester dans le cadre du Code du numérique [la loi]. Nous ne disons rien de tendancieux. Nous sommes apolitiques. Nous restons impartiaux. Mais nous avons une cause à défendre ».
Les coupures d’Internet peuvent avoir des effets à court comme à long terme sur l’économie. Selon Hanna Kreitem, experte technique de l’Internet Society pour le Moyen-Orient et observatrice des perturbations de l’Internet pour la plateforme Pulse, c’est un aspect que les gouvernements ne prennent pas toujours en compte.
« Nous avons été heureux de constater que le gouvernement béninois n’a pas coupé l’Internet lors des récentes élections en avril dernier », déclare Hanna Kreitem. « Chaque gouvernement doit comprendre que les coupures d’Internet entravent la croissance économique car elles ont un impact financier immédiat sur l’économie nationale. Le fait de priver les particuliers et les entreprises de l’accès à l’Internet érode également leur confiance dans la disponibilité, la stabilité et la fiabilité de l’infrastructure Internet lorsqu’ils en ont besoin. Dans le monde d’aujourd’hui, la croissance économique à long terme est impossible sans un accès fiable à Internet. »
Selon le directeur général d’Amnesty International Bénin, Dieudonné Dagbeto, l’éducation aux droits de l’homme est essentielle parallèlement au plaidoyer, « pour éduquer les autorités ainsi que le grand public. … Lorsque le chapitre de l’ISOC nous a approchés, nous étions ravis… nous sommes plus forts lorsque nous œuvrons ensemble. »
Amnesty Bénin a recueilli à elle seule près de 13 000 vues et un fort engagement sur ses plateformes de réseaux sociaux. Selon M. Dagbeto, ils savent que le gouvernement a reçu le message car, le 8 avril, un journaliste a cité leur campagne lorsqu’il a demandé au ministre des Communications si l’Internet allait être coupé, et il a assuré que ce ne serait pas le cas.
Le chapitre du Tchad de l’Internet Society a également plaidé en faveur de la prévention d’une coupure au moment des élections, également le 11 avril, en publiant sur les réseaux sociaux des informations sur l’impact économique négatif des coupures d’Internet les jours précédents. Et, le 12 avril, il a publié un message sur Facebook pour remercier le gouvernement d’avoir maintenu l’Internet, tout en l’exhortant à maintenir un accès total au service pendant les prochaines élections locales et législatives.
« Ces actions proactives semblent avoir porté leurs fruits au Bénin et au Tchad », déclare Victor Ndonnang, responsable de l’engagement communautaire de l’Internet Society pour l’Afrique. « Cela montre comment les chapitres de l’Internet Society peuvent travailler avec leurs communautés locales et agir sur les questions liées à l’Internet qui affectent leurs vies. »
Apprenez-en davantage sur les coupures d’Internet et leur impact économique et humain.
Image de Gavin Allanwood via Unsplash