Les mouvements de défense des droits alimentés par les réseaux sociaux étant de plus en plus nombreux dans le monde, il n’est pas surprenant que le projet de loi nigérian de 2019 sur la protection contre les mensonges et les manipulations sur Internet (alias projet de loi contre les réseaux sociaux) ait suscité un tollé international.
Le projet de loi visait à criminaliser l’utilisation des réseaux sociaux pour colporter des informations fausses ou malveillantes, permettant aux autorités de fermer certaines parties d’Internet et de limiter l’accès aux réseaux sociaux pour diverses raisons. Non seulement cette proposition de loi remet en cause le fonctionnement technique de l’Internet Way of Networking, mais elle représente un danger pour les catalyseurs sociaux et civils des droits numériques, de la justice, de l’autonomie, de la responsabilité et de la transparence, qui contribuent à garantir qu’Internet reste un réseau qui fonctionne pour tous.
La montée des mouvements pour la justice sociale continue de faire la une des médias dans le monde entier. Les militants du monde entier puisent courage et inspiration dans les efforts des uns et des autres, ce qui a permis à des hashtags comme #BlackLivesMatter, #MeToo et #EndSARS, parmi beaucoup d’autres, d’attirer l’attention internationale, en particulier au cours des deux dernières années. Ces mouvements ont uni des voix par-delà les frontières géographiques, culturelles, politiques, raciales et religieuses pour exiger que les institutions sociales fassent mieux pour garantir l’égalité et l’équité dans l’administration de la justice, la protection des droits et l’offre d’opportunités pour tous.
Le pouvoir des réseaux sociaux pour catalyser l’élan
Les réseaux sociaux sont un outil qui s’est distingué au milieu de ces luttes. Leur capacité à catalyser l’intérêt et l’élan a permis d’attirer l’attention mondiale nécessaire pour susciter des changements progressifs et significatifs. Grâce à un Internet ouvert et décentralisé, les plateformes de réseaux sociaux sont devenues un lieu de rassemblement pour les voix dissidentes contre un statu quo perpétué par l’élite politique et la classe dirigeante. Un statu quo qui était caractérisé par diverses formes d’injustices sociales et de répression gouvernementale dans ces pays.
Cependant, dans certains pays, ces mouvements ont mis en évidence un intérêt croissant et des efforts de la part des gouvernements pour réprimer les réseaux sociaux en tant qu’outil de liberté d’expression, de pensée indépendante et de citoyenneté responsable à l’ère de la numérisation.
Dans certaines régions, les gouvernements ont promulgué et appliqué des réglementations et des lois pour tenter de centraliser leur capacité à contrôler les fonctions et les opérations de l’Internet dans leurs juridictions et, par extension, d’autres outils technologiques qui en dépendent. En s’engageant dans cette voie, les gouvernements ont fréquemment fait fi des conséquences plus importantes pour l’économie, la confiance des citoyens et la réputation internationale.
Cette tendance a récemment fait surface dans des pays comme le Mali, le Nigeria, l’Ouganda, le Myanmar, le Belarus, Hong Kong, la Russie, la République démocratique du Congo, l’Azerbaïdjan, le Burkina Faso et l’Éthiopie, pour n’en citer que quelques-uns.
Le problème de cette approche centralisée de la réglementation est qu’Internet a été conçu pour être un réseau qui fonctionne pour tout le monde. Ses principes fondamentaux permettent de s’assurer que les services publics, les droits et les opportunités qu’il offre sont disponibles de manière égale et équitable pour tous ceux qui le souhaitent, indépendamment de la géographie, de la classe sociale, de la race, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la culture.
Cela reproduit efficacement les idéaux que l’on attend des institutions sociales dans le monde réel. Les avantages des médias sociaux en matière d’autonomisation économique (par le biais du commerce électronique), de gouvernance en ligne et d’engagement civique ont été mis en évidence au cours des premières semaines et des premiers mois de la pandémie de Covid-19 en 2020, lorsque les outils et les plates-formes numériques compatibles avec Internet sont devenus la seule bouée de sauvetage pour faire face au fléau qui sévissait sur de nombreux fronts.
Travailler ensemble pour trouver des solutions
Il est facile de comprendre pourquoi certains gouvernements pourraient vouloir réglementer l’Internet et les technologies associées. Les activités néfastes telles que la désinformation, les discours de haine, les fraudes et les escroqueries, le racisme, la radicalisation et l’extrémisme, la traite des êtres humains et la pédopornographie, la manipulation psychologique, le harcèlement et la honte, entre autres, sont des préoccupations sérieuses. Toutefois, l’approche multipartite pour trouver des solutions s’est avérée plus efficace et durable à long terme que les réactions impulsives ou l’autoritarisme.
Malheureusement, l’interdiction de Twitter au Nigeria pendant plus de sept mois en juin 2021 était un sinistre présage de ce à quoi ressemblerait la mise en œuvre du projet de loi contre les réseaux antisociaux, et des conséquences désastreuses qu’elle pourrait avoir non seulement sur l’économie, mais aussi sur les relations entre les citoyens et le gouvernement dans un climat sociopolitique qui se détériore.
En octobre 2021, j’ai écrit sur l’impact économique de l’interdiction en cours, en partageant mes réflexions sur les conséquences possibles de cette interdiction. Ironiquement, la levée de l’interdiction en janvier 2022 a ravivé l’indignation et la suspicion du public à l’égard du projet de loi contre les réseaux sociaux. Le gouvernement a annoncé que Twitter avait « accepté de remplir l’ensemble des conditions fixées par le FGN », notamment « l’enregistrement légal des opérations, la taxation et la gestion des publications interdites conformément aux lois nigérianes…». De nombreux acteurs de la société civile ont affirmé que Twitter avait sacrifié les droits numériques et les libertés civiles dans son accord avec le gouvernement nigérian.
À la suite de la Journée mondiale de la justice sociale 2022, l’Internet Society, en collaboration avec l’organisation #DearGovernments, a publié une Note d’impact sur l’Internet (Internet Impact Brief) analysant l’impact potentiel de la Loi de 2019 de protection contre les mensonges et manipulations venant de l’Internet, ainsi que sur les catalyseurs sociaux et civils de la démocratie durable à l’ère de la numérisation.
Nous pensons que ce mémoire peut soutenir des engagements multipartites fondés sur des preuves au Nigeria et au-delà. Il peut également aider d’autres gouvernements progressistes à réaliser que pour que l’Internet reste un réseau qui fonctionne pour tout le monde, ils doivent comprendre leur rôle dans la gouvernance multipartite de l’Internet comme une responsabilité envers tout le monde, plutôt que comme une supériorité par rapport aux autres.