Combiner les technologies révolutionnaires pour créer un meilleur avenir
Que se passe-t-il lorsque deux révolutions techniques entrent en collusion ? La Dera numérique libère le potentiel humain.
Bashir Hussain, un petit agriculteur d’une zone rurale du Pakistan, était confronté à un dilemme. Le mauvais choix risquait de lui coûter un montant qu’il ne pouvait pas se permettre de perdre.
Fin 2021, un ami l’a appelé pour le prévenir que la saison des pluies allait commencer dans un peu plus d’une semaine. Il devait donc attendre avant de répandre des pesticides sur ces cultures de pommes de terre.
Bashir n’était pas certain du poids à porter à ce conseil. Il ne s’attendait pas à ce qu’il pleuve cette semaine, et, s’il répandait les pesticides trop tard, cela risquait de nuire à ses pommes de terre, et donc de réduire le prix qu’il pourrait en obtenir. Mais s’il pleuvait après que les pesticides aient été répandus, il risquait de perdre tout son stock de pesticide, qu’il avait acheté à crédit. La qualité de ses pommes de terre baisserait également, ce qui doublerait sa perte de revenus.
Il lui fallait prendre une décision rapidement. Il devait se dépêcher de récolter et de vendre ses pommes de terre pour pouvoir rembourser ses créanciers, et pour gagner suffisamment pour satisfaire les besoins de sa famille dans les mois suivants.
Bashir a finalement suivi le conseil de son ami, et a repoussé la pulvérisation. Des pluies torrentielles sont ensuite arrivées. Il avait fait le bon choix.
Il a pu protéger ses récoltes et ne pas perdre d’argent grâce à des informations obtenues en temps opportun. Son ami, également fermier, a pu lui faire part de ses informations essentielles grâce à une initiative révolutionnaire: la Dera numérique. C’est elle qui lui permet d’accéder à des prévisions météorologiques à jour, en passant par Internet.
Dera est un mot courant en Asie du Sud. Il désigne un espace partagé, au sein duquel les villageois se rencontrent pour discuter et prendre un thé ensemble, généralement le soir. La ferme dans laquelle se situe la Dera est souvent celle du chef du village, et chacun peut y venir.
La Dera numérique est un tout nouveau réseau communautaire, qui aide les fermiers d’un village rural du sud du Pakistan, nommé « Chak 26 S/P ». Il a moins d’un an, mais a déjà permis à près de 70 % des fermiers du village d’économiser de l’argent et du travail, en fournissant des informations telles que celles reçues par Bashir. De telles décisions « quitte ou double » sont prises chaque jour par des millions de fermiers du monde entier. Il est crucial pour eux de disposer d’informations exactes en temps opportun. La Dera numérique vise à les aider en mettant les technologies à portée du secteur agricole au Pakistan.
La Dera numérique a commencé autour d’une tasse de café. À l’été 2020, Naveed Haq, directeur de l’infrastructure et de la connectivité de l’Internet Society, prenait des nouvelles de son vieil ami Fouad Bajwa à Lahore, au Pakistan. Ensemble, ils évoquaient des projets passés, lorsque la lumière s’est éteinte. Naveed avait participé à la construction d’un réseau communautaire et d’un équipement d’enseignement à distance par Internet dans le village de Chak 5 Faiz, dans la campagne pakistanaise. Fouad, technologue agricole, est le cofondateur de la start-up Agriculture Republic, qui développe des solutions pour des problématiques liées à l’agriculture, à la sécurité alimentaire et au réchauffement climatique. Ils connaissaient bien la fracture du numérique dans le secteur agricole, et ont décidé de fournir Internet à la communauté des fermiers. Cette décision a donné naissance à un partenariat. L’Internet Society et Agriculture Republic se sont associées pour déployer le tout premier réseau communautaire numérique pour l’agriculture au Pakistan.
Préparer le terrain
Naveed et Fouad sont des technologues, et ils avaient donc besoin d’un fermier motivé, capable de comprendre et d’identifier les problèmes de la communauté, ainsi que les manières dont un réseau pouvait être utile. Ils ont contacté Amer Hayat Bhandara, un fermier progressiste, cofondateur d’Agriculture Republic. Celui-ci leur a expliqué que l’une des principales difficultés auxquelles la communauté était confrontée consistait à obtenir la meilleure productivité possible de la terre de Chak 26 S/P.
Chak 26 S/P dispose de l’une des terres les plus fertiles du Pakistan. Mais, jusqu’à récemment, la commune était presque un désert en termes de communication. Ce secteur ne disposait ni du haut débit, ni d’une infrastructure de téléphone fixe, et avait une réception de téléphone portable assez médiocre. Cette communauté, composée d’environ 7000 personnes réparties dans 1200 foyers, avait du mal à assurer son développement socio-économique.
Avec une inflation croissante, la pandémie et d’autres problèmes d’ordre économique au Pakistan, elle luttait pour simplement préserver son niveau de revenus. En l’absence de services de communication fiables, la communauté n’avait pas accès à des informations à jour en temps opportun au sujet des conditions météorologiques, de la prévention et du contrôle du COVID-19, des produits de santé agroalimentaires, de la gestion de la chaîne logistique, et des nouveautés dans le secteur agricole.
Khizar, un petit exploitant, explique : «Je viens d’une famille de fermiers, mais je n’ai jamais connu de temps aussi durs. Je parviens à peine à joindre les deux bouts. Le gouvernement supprime des aides et taxe tout. Cet hiver, j’ai dû vendre un quart de mon bétail pour acheter de quoi récolter mes cultures.»
Malgré les conditions météorologiques idéales et la qualité des sols, la productivité à l’hectare du village est loin d’être idéale. C’est le résultat de décisions mal informées, de prix élevés et de modèles météorologiques imprévisibles. Le gouvernement a cherché à fournir des technologies au secteur agricole, avec des innovations telles qu’un système de gestion des catastrophes et une base de données sur le bétail des fermiers, mais celles-ci sont restées inaccessibles et insuffisantes pour Chak 26 S/P, du fait du manque de connectivité. La communauté souhaitait être autonome. L’accès à Internet représentait une clé pour accéder aux informations dont ils avaient besoin, au lieu de devoir se fier au bouche-à-oreille ou à des on-dit. Un réseau communautaire était la solution rêvée.
Agriculture et adoption du numérique
Le Pakistan est le cinquième pays le plus peuplé au monde, avec un peu plus de 200 millions d’habitants, et son économie repose sur l’agriculture. Près des deux tiers de ses habitants vivent de l’agriculture, qui assure 19,2 % du PIB. Mais les fermiers ont du mal à gagner leur vie, du fait de la raréfaction des terres arables, du changement climatique, des sécheresses et de l’importante transition démographique et sociologique des zones rurales aux zones urbaines. Dans un entretien accordé l’an dernier, Zulfikar Awan, président de l’organisation Pakistan Kissan Ittehad (que l’on pourrait traduire par «Unité des fermiers du Pakistan») a déclaré: «Le prix minimum vital pour le blé était de 1 400 roupies, et nous ne l’avons jamais obtenu. Les engrais coûtaient 2 500 roupies et coûtent désormais 4 500 roupies, l’urée (un produit agricole) coûtait 1 300 roupies, contre 1 800 maintenant. La disparité des prix entre les intrants et les produits pour les fermiers pakistanais est telle que nos produits ne peuvent tout simplement pas lutter contre ceux d’autres pays.»
Dans le même temps, le Pakistan est à l’orée de la révolution technologique. Le premier ministre, Imran Khan, a lancé la Digital Pakistan Vision en 2019. Selon l’autorité pakistanaise des télécommunications (PTA), le pays comprenait plus de 188 millions d’abonnés au réseau portable, et plus de 110 millions d’abonnés au haut débit en novembre 2021, et 77 % de la population avait accès à la 3G ou la 4G. Pourtant, la fracture numérique et les médiocres performances du réseau restent des obstacles majeurs à l’utilisation d’Internet. Environ 62 % de la population vit en zone rurale, où la couverture par le haut débit et la qualité de service n’ont pas encore atteint un niveau acceptable de fiabilité et de coût. L’union des technologies numériques et de l’agriculture devrait être une priorité évidente pour le gouvernement comme pour le secteur privé, mais les agro-technologies semblent ne pas être parvenues à s’imposer au Pakistan.
Des champions en plein travail
La Dera numérique ne révolutionne pas seulement les pratiques agricoles de Chak 26 S/P : elle ouvre aussi de nouvelles portes pour de nombreux habitants, en leur permettant de réaliser leurs rêves. Les champions du réseau communautaire, Mohsin, Rehan et Babar, n’ont pas de formation formelle ou de diplôme dans les réseaux, mais ils aiment apprendre et s’engager, et ils voient déjà les choses en grand.
Mohsin souhaite utiliser Internet pour enseigner aux enfants de son village, qui ne peuvent pas aller à l’école à cause du confinement lié au COVID-19. Grâce à Internet, les enfants de Chak 26 S/P pourraient bénéficier d’un enseignement auquel beaucoup n’ont pas accès. Au Pakistan, près de 44 % des enfants de cinq à seize ans ne sont pas scolarisés.
Les habitants de Chak 26 S/P sont confrontés à d’autres obstacles en ce qui concerne l’éducation. Pour suivre une formation en ligne, Babar devait faire 20 km par jour pour se rendre dans un cybercafé. Pour économiser de l’argent, lui et ses camarades de classe allaient se former au cybercafé à tour de rôle. En revenant au village, ils partageaient les notes. Maintenant qu’ils ont Internet à la Dera, ils voudraient se cotiser pour acheter un ordinateur portable d’occasion, pour pouvoir suivre la formation ensemble.
Rehan est inspiré par la réussite de Mubashir Saddique, un habitant du village qui gère la chaîne YouTube à succès « Village Food Secrets », qui a 3,4 millions d’abonnés. Il souhaite devenir vloggeur, pour partager des conseils sur l’agriculture avec le monde entier.
Mohsin, Rehan, et Babar, champions du réseau Communautaire, travaillent sur le principal site de transmission des fermes de Hayat.
Le projet Digital Dera était ambitieux. Il exigeait l’engagement constant de partenaires pour l’organisation et de la communauté qu’il devait desservir. Il s’est avéré encore plus complexe de trouver le bon endroit pour lancer le projet parmi les 51 000 villages que compte le Pakistan. Mais Chak 26 S/P était l’endroit parfait.
Chak 26 S/P est située dans le district de Pakpattan, dans le Pendjab, la province la plus peuplée du pays. Le Pendjab est également connu comme le grenier du Pakistan. Ses vastes terres irrigables constituent environ 68 % de la production céréalière annuelle du pays. Dans cette province, vingt millions d’hectares de terres sont cultivées, et 3,6 millions d’hectares supplémentaires sont cultivables, mais non exploitées.
Chak 26 S/P, dont les terres sont considérées comme faisant partie des plus fertiles de la région, a une population composée majoritairement de petits exploitants agricoles et laitiers. Ceux-ci produisent des pommes de terre, du riz et du maïs. Tandis que la plupart des régions produisent deux récoltes par an, le Pakpattan offre trois récoltes par an.
En septembre 2021, des pluies inattendues ont fait d’importants dégâts dans les cultures rizières du village. Elles ont entraîné une perte de 20 à 25 % de la productivité et une perte de 30 % du prix de vente du fait d’une détérioration de la qualité, et ont rendu impossible la récolte sur des terres arables. Des prévisions météorologiques et un système d’alerte auraient permis de réduire les dégâts. Un réseau communautaire pourrait y contribuer.
Déploiement d’un réseau communautaire
Le déploiement d’un réseau communautaire implique toujours le besoin de résoudre trois difficultés : impliquer la communauté, contourner les obstacles réglementaires et assurer la durabilité. À Chak 26 S/P, l’Internet Society et les partenaires locaux ont mobilisé la communauté en recrutant des bénévoles. Ces habitants, nommés les Champions du réseau communautaire, n’avaient pas de formation concrète à Internet, mais souhaitaient en savoir plus et soutenir le projet. Ces champions étaient formés par l’Internet Society pour déployer et entretenir le réseau communautaire. De plus, des prestataires locaux ont étudié le secteur et fait part de leurs conseils pour définir le modèle et le matériel les plus adaptés au réseau.
La Dera numérique a été conçue comme un réseau à maillage sans fil, avec un principal site de transmission connectant Chak 26 S/P et quatre autres villages grâce à des ponts de réseau. Le principal site de transmission a été installé dans les fermes de Hayat, qui disposaient déjà d’équipements de base. Il est alimenté par l’énergie solaire, compte tenu de l’augmentation des prix de l’énergie au Pakistan et de l’impact sur l’environnement. Les champions ont pris en charge la phase de déploiement, avec l’aide des prestataires locaux. L’échange avec le FAI le plus proche est situé à 15 km, et il n’existait aucun accès direct à la dorsale. Les champions ont donc installé une liaison de point à point de 7 Mo/s qui relie la tour d’échange aux fermes de Hayat, non loin du village.
Durant la première phase du projet, la priorité a été donnée à Chak 26 S/P. Ensuite, la Dera numérique offrira un accès à Internet à des stations de réception situées, par ordre de priorité : à Chak no. 28 S/P, à Chak Sethanwala, à Chak Faridpur et à Chak Sohail. Naveed espère que « la communauté active de Chak 26 S/P motivera les quatre autres villages à s’impliquer pleinement dans le projet, et nourrira l’intérêt des fermiers pour les technologies ». Il imagine la Dera numérique devenir le cœur de l’innovation dans le domaine agricole, en se développant dans tout le Pakistan grâce à un modèle opérationnel durable mené par la communauté.
Cela donnera des moyens aux fermiers, et assurera une utilisation efficace des ressources.”
Les bureaux de la Dera numérique à Chak 26 S/P sont situés à trois kilomètres des fermes de Hayat. Ils comprennent une salle de formation qui peut accueillir jusqu’à 200 personnes et un espace de travail climatisé, un endroit accueillant dans lequel travailler, du fait des températures élevées tout au long de l’année au Pakistan. Les visiteurs peuvent accéder à Internet sur les trois postes de travail et trois tablettes, et utiliser l’imprimante et le projecteur multimédia. Tout est géré et entretenu par les champions. Le bureau sert également de lieu de formation pour les fermiers, et pour toute personne qui voudrait devenir un champion du réseau communautaire.
Le Pakistan n’a pas de cadre de licence ou de réglementation spécifique aux réseaux communautaires. Mais le Directorate General Agriculture (DGA) national a cru dans ce projet et dans sa capacité à améliorer la vie des habitants. La Dera numérique a été inaugurée le 2 octobre 2021 par Muhammad Anjum Ali, directeur général de l’agriculture pour la recherche sur le développement et l’adaptation du DGA. Le gouvernement du Pendjab a beaucoup soutenu le projet.
«Nous utilisons le concept de réseau communautaire pour l’agriculture numérique pour intégrer les technologies aux pratiques agricoles. Cela donnera des moyens aux fermiers, et assurera une utilisation efficace des ressources,» explique Naveed.
Internet pour l’héritage familial
Malik Malik Sarwar (à droite) est un fermier expérimenté et respecté de Chak 26 S/P. Dans le village, il est vu comme un conseiller expert en agriculture, et les petits exploitants lui demandent souvent des informations et des prévisions, notamment au sujet des récoltes. Au fil des années, il leur a permis d’économiser de l’argent et des efforts, en partageant des informations en avance, et parfois en les avertissant au sujet de nouveaux pesticides, engrais et traitements agricoles. Il apprécie l’honneur et le respect que ses conseils font rejaillir sur lui et sa famille.
Mais, face aux évolutions actuelles, et au changement climatique, il trouvait son rôle de sage de plus en plus difficile à assumer. Il croit dans les technologies, et a souvent eu recours à des services de développement agricole assurés par le gouvernement. Mais la mauvaise qualité du réseau et le retard que cela entraînait pour obtenir des informations exactes compliquaient la prise de décision en matière de météorologie. Malik est ravi de voir que la Dera numérique a apporté Internet dans le village. Il a suivi une formation à la Dera, et est certain que cela lui permettra de mieux se former et s’informer sur l’agriculture et le climat, ce qui améliorera la prospérité collective de Chak 26 S/P. Il encourage les autres fermiers à suivre des formations à la Dera. Il espère qu’Internet sera un jour disponible dans tout le village.
Un nouveau monde d’opportunités
La Dera numérique est accessible en permanence et dix à quinze fermiers l’utilisent chaque jour. Les champions sont là pour les aider avec Internet, et pour surmonter les obstacles liés à la langue et à l’illettrisme. Dans leur langue maternelle, les fermiers évoquent leurs difficultés liées aux cultures, au bétail, aux engrais, à la végétation, à la météo, aux maladies, au contrôle des nuisibles et aux techniques agricoles. Les champions de la Dera écoutent et soutiennent les fermiers de diverses manières:
- En cherchant les informations ou en traitant la demande sur Internet et sur les portails gouvernementaux.
- En mettant le fermier en relation avec les responsables de l’agriculture par liaison vidéo.
- En formant les fermiers à la recherche d’informations sur leurs propres téléphones.
- En indiquant les prix du marché et d’autres coûts à jour.
- En tenant les fermiers informés des actualités en matière de prêt et de crédit proposés par le gouvernement et les banques.
- En les tenant informés de la météo et des prévisions de saison sèche et de saison des pluies.
- En présentant l’agronomie et les nouvelles techniques agricoles aux villageois.
- En conseillant les fermiers pour les aider à préserver la durabilité de la terre et à économiser l’eau.
La Dera numérique est devenue un centre de l’agriculture, et ouvre un vaste éventail de possibilités à Chak 26 S/P. Avant le projet, les fermiers se basaient sur leur expérience ou sur le bouche-à-oreille pour prendre des décisions ayant un impact financier majeur. Désormais, ils peuvent obtenir des informations exactes, à jour et vérifiées à la Dera numérique.
Les chefs de village l’ont également remarqué. Certains fermiers suivent les conseils et les indications des chefs de village pour prendre des décisions cruciales pour leurs récoltes. Le réseau communautaire a attiré l’attention des chefs de village de Chak 26 S/P et au-delà, ce qui a joué un rôle majeur dans la portée de la Dera numérique. Avec la confiance des chefs de village, il est plus facile de partager les informations plus rapidement dans la communauté des agriculteurs.
Cette exposition positive à Internet a aidé la communauté à comprendre l’importance et les modes d’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC). L’un des principaux défis pour combler la fracture du numérique au Pakistan consiste à lutter contre des préjugés négatifs contre la téléphonie mobile et Internet. Une étude de 2021 de GSMA a révélé que le refus par la famille était toujours la principale raison pour laquelle les femmes ne possédaient pas de téléphone portable dans le pays. Il s’agit d’un obstacle socio-culturel majeur, car les personnes âgées en milieu rural considèrent qu’Internet et les téléphones mobiles sont des sources de divertissement indécent et de socialisation indésirable. La Dera numérique lutte contre cet état d’esprit en illustrant une utilisation positive d’Internet, en présentant ses applications pratiques.
Les avantages concrets de la connexion à Internet grâce à la Dera numérique sont en effet indéniables.
Accès à des prêts avec des intérêts faibles ou nuls
Avant la Dera numérique, les fermiers étaient accablés par les dettes et crédits accordés par les propriétaires locaux, avec des taux d’intérêt très élevés, et des conditions de remboursement très strictes. L’alternative consistait à effectuer un long trajet pour effectuer une demande de prêt ou de crédit auprès d’une banque ou d’une instance gouvernementale. Désormais, les fermiers peuvent se rendre dans l’accueillante Dera, y imprimer des formulaires administratifs, et même envoyer leurs demandes en ligne. Ils découvrent également les prêts à taux zéro, comme e-Kissan, proposé par le gouvernement du Pendjab.
Le Punjab Information Technology Board a également mis en place une initiative, en partenariat avec le ministère de l’Agriculture du Pendjab, afin de proposer des prêts à taux zéro aux petits exploitants agricoles. Les fermiers peuvent utiliser les ressources pour les micro-crédits et la finance numérique pour obtenir des crédits et les gérer en ligne. Près de 110 000 fermiers ont reçu un téléphone portable gratuit doté d’un portefeuille mobile qui permet de gérer le crédit. Des responsables gouvernementaux du ministère de l’Agriculture, appelés les assistants de terrain, se rendent également dans les villages pour conseiller les fermiers.
Lorsque tous les sites [de la Dera numérique] seront fonctionnels, je pourrai parler à 100 fermiers à la fois par Internet, au lieu d’aller de village en village.»
Avant la Dera numérique, les fermiers avaient du mal à joindre les responsables gouvernementaux. Chak 26 S/P est au centre d’une entité administrative locale composée de 13 villages, et d’environ 20 000 personnes. Pourtant, un seul assistant de terrain était assigné à ce secteur. Désormais, la Dera numérique met les fermiers en relation avec les représentants du ministère de l’Agriculture par liaison vidéo pour parler gratuitement du cycle des cultures, de la récolte, du labour et des mesures de prévention des nuisibles. Les fermiers économisent du temps, de l’argent et des efforts, et le gouvernement peut plus facilement toucher la communauté. Les retombées de ce projet sont tellement positives que des fermiers de villages avoisinants ont demandé à ce qu’un projet similaire à la Dera numérique soit mis en place dans leur village.
«Je consacrais énormément de temps et d’essence à mes déplacements. Parfois, j’arrivais trop tard pour offrir de l’aide face à des problèmes urgents auxquels étaient confrontés les fermiers. Lorsque tous les sites [de la Dera numérique] seront fonctionnels, je pourrai parler à 100 fermiers à la fois par Internet, au lieu d’aller de village en village,» explique Ghulam Farid, assistant de terrain pour la zone administrative de Chak 26 S/P.
L’avenir de la Dera numérique
La prochaine étape majeure de la Dera numérique consistera à assurer sa durabilité et son évolutivité, et l’équipe locale dialogue actuellement avec des partenaires potentiels. L’Internet Society assurera la durabilité du projet en ce qui concerne les coûts de connexion à Internet et d’électricité jusqu’à fin 2022. Ensuite, la Dera numérique continuera de fonctionner avec l’aide d’entreprises et de fermiers locaux. Elle pilote également des solutions d’agro-technologie pour sensibiliser les fermiers à des solutions numériques innovantes, ainsi qu’aux avantages et à la productivité qu’elles offrent. Ces projets sont un système de gestion des sols et de l’humidité, une agriculture de précision basée sur une cartographie par satellite, et une automatisation des intrants agricoles.
La Dera numérique met en pratique des technologies pour les investisseurs et entrepreneurs potentiellement intéressés. Par exemple, un puits a été automatisé dans le village, et un fermier peut désormais activer ou arrêter le flux d’eau depuis son téléphone portable. Dans les circonstances actuelles, les fermiers installent une ampoule électrique au niveau du puits (généralement situé à des centaines de mètres) pour vérifier la présence d’électricité. De plus, un emploi doit être consacré à lancer le puits lorsque le courant est rétabli. Avec le déploiement de cette solution pilote, les fermiers peuvent réduire les coûts de fonctionnement en supprimant l’ampoule et le poste afférent. Imaginez les économies d’énergie et d’argent qui seraient possibles si ce projet pilote fructueux était mis en œuvre dans les 1,2 million de puits que compte le Pakistan, car l’électricité au niveau des puits est fortement taxée par le gouvernement du Pendjab. De plus, combien de millions de mètres cube d’eau pourraient être conservés, alors que le Pakistan va vers une rareté absolue de l’eau en 2025.
La Dera numérique deviendra bientôt un laboratoire innovant pour la sécurité alimentaire et l’agriculture, où les start-ups et investisseurs de tout le Pakistan pourront voir comment leurs innovations fonctionnent avec de vrais fermiers. L’objectif est de devenir un incubateur pour les agro-technologies, qui incitera les fermiers et les développeurs à adopter le concept d’Agriculture 2.0.
Grâce à l’inclusion numérique en zone rurale, la Dera numérique permet aux fermiers de prendre des décisions efficaces, effectives et intelligentes en se basant sur les données, les informations, les conseils et les technologies. Si cet énorme potentiel était reproduit dans tout le pays, cela pourrait aboutir à un avenir durable et productif, ainsi qu’à la sécurité alimentaire, au Pakistan.
C’est en tout cas ce qu’espère Amer Hayat Bhandara, cofondateur d’Agriculture Republic. «Cela offre à nos fermiers un meilleur avenir, et à nous tous un meilleur Pakistan.»
Image principale: © Imran Khattak