Connexion pour la souveraineté avec le réseau communautaire de Waimānalo
Une nation indépendante de Hawaï construit Internet à partir de rien
Il est rare qu’une histoire relative à Internet remonte au XIXe siècle. Mais c’est le cas pour L’État-nation souverain et indépendant de Hawai’i.
En 1893, les États-Unis ont participé au renversement du Royaume de Hawaï, ce qui a entraîné l’annexion des îles en 1898. Un siècle plus tard, les États-Unis ont présenté leurs excuses, en admettant que le peuple hawaïen n’avait jamais renoncé au contrôle du pays. Cela a donné du grain à moudre dans la bataille pour la souveraineté qui dure depuis plus d’un siècle.
« Il ne s’agit pas simplement de dire : « Désolés d’avoir rendu la vie impossible pour les Hawaïens » », a expliqué Bumpy Kanahele, le chef d’État de la Nation de Hawai’i. « L’avocat a expliqué que, puisque les États-Unis s’étaient excusés pour ce qu’ils avaient fait, le peuple Hawaïen pouvait désormais proclamer la restauration de son indépendance. »
Suite aux excuses de 1993, un groupe de personnes originaires de Hawaï a formé sa propre nation souveraine, un territoire de seulement 18 hectares, sur la petite île d’Oahu, dans le village de Pu’uhonua o Waimānalo. Mais, dans le monde actuel où tout est étroitement lié, une nation ne disposant pas d’une connexion puissante à Internet a peu de chances de succès. Le village a eu du mal à obtenir des ressources de l’État de Hawaï ou des États-Unis. Il s’agit justement de l’un des domaines dans lesquels l’Internet Society a pu être utile, en aidant la communauté à mettre en place son propre réseau Internet : un réseau communautaire.
Ces réseaux sont un moyen d’accéder à Internet dans les zones dans lesquelles la connexion et l’accès sont difficiles. Ils sont créés et gérés par les communautés qui les utilisent. Grâce à la formation et à l’équipement nécessaires, les habitants de Waimānalo sont désormais connectés à Internet, et gèrent eux-mêmes cette connexion.
Waimānalo est une communauté principalement agricole, qui regroupe seulement une vingtaine de familles. Avant l’installation du réseau communautaire, la connexion à Internet dans le village était très lente et très onéreuse, et les enseignants et leurs élèves devaient se rendre dans les entreprises locales pour pouvoir se connecter. Une seule maison du village disposait d’un accès assez fiable, et seules quelques personnes pouvaient se connecter à la fois, sous peine de saturer le système. Les hotspots les plus pratiques étaient très onéreux. Les entreprises d’Internet classiques basent leurs projets d’infrastructure sur la population et la rentabilité potentielle. Waimānalo n’offrait ni l’un, ni l’autre, et en pâtissait.
« Le pire n’était pas la lenteur, mais de savoir que nos enfants ne disposaient pas de la connectivité nécessaire pour saisir les opportunités offertes en ligne par une connexion à haut débit, » explique Bumpy Kanahele. « Mes petits-enfants devaient parcourir une grande distance pour pouvoir accéder à une connexion à haut débit. Ce sont les difficultés auxquelles la Nation de Hawai’i est confrontée qui nous ont empêchés d’obtenir les ressources que nous aurions dû obtenir depuis le début. »
La nation a compris l’importance d’Internet dès ses débuts. En 1995, elle a lancé son site Internet, désormais nationofhawaii.org, afin de partager son histoire et ses actualités avec le monde entier. Le site comportait des documents historiques, afin d’aider les individus, où qu’ils soient, à en savoir plus sur un chapitre de l’histoire qui ne figurait pas dans beaucoup de livres scolaires. Mais leur accès et leur connexion à Internet étaient de tellement mauvaise qualité que le site est resté assez inchangé, dans sa structure comme dans son style. Leur progression a stagné.
Bumpy Kanahele, le chef d’État de la Nation de Hawai’i et
John Garcia, un membre de la communauté, qui a joué un rôle majeur dans la mise en place de leur réseau communautaire.
Collaboration pour un réseau communautaire
Bumpy Kanahele explique que la présence d’un intermédiaire connaissant les systèmes gouvernementaux a été d’une importance capitale pour la construction du nouveau réseau communautaire. Si le village pouvait s’occuper par lui-même des problématiques liées au logement, à la santé, à l’éducation et à l’économie, la connexion à Internet exigeait des connaissances techniques et une habileté politique que l’Internet Society était en mesure de fournir. Et, plus important encore, elle a donné à la population locale les moyens de résoudre elle-même le problème.
À Hawaï, ce n’est pas comme partout ailleurs, où vous avez des terres dirigées par des tribus. Nous avons été entièrement assimilés, hormis dans ce village. La collaboration de l’État de Hawaï, de la Nation de Hawai’i et de l’Internet Society nous a permis d’obtenir ce que nous n’avions jamais eu auparavant. Cela a demandé la contribution de chacun d’entre nous. »
Maintenant que l’État travaille avec la Nation, il est possible d’aller bien plus loin dans la mise en place de l’infrastructure et l’obtention du matériel nécessaire. En réalisant elle-même le travail sur le terrain et en utilisant ses propres outils pour assurer sa propre connectivité, la communauté a pu s’épanouir au sein de l’économie et de la culture mondiales. Pour les villageois, cela représentait un changement majeur, mais un changement bienvenu.
« Tout a changé lorsque nous avons su que nous allions avoir la fibre optique, et que nous avons appris comment faire, » explique Kanahele. « La connexion à haut débit est une chose, mais la responsabilité en est une autre. »
« Avant de commencer à travailler avec mon oncle [Kanahele], je n’avais même pas d’adresse de messagerie, ce qui est assez amusant, car beaucoup utilisent Internet au quotidien, et cela leur semble normal, mais ces choses-là étaient complètement nouvelles pour moi, » explique Brandon Makawa’awa’a, vice-chef d’État de la Nation de Hawai’i.
Les habitants de Pu’uhonua o Waimānalo peuvent gérer leur propre réseau, mais ils ont également participé à sa construction, ce qui signifie qu’ils maîtrisent aussi les bases de la connexion. Mais la mise en place de ce réseau ne fut pas chose aisée. La communauté manquait de ressources et était confrontée à des difficultés d’ordre environnemental.
« Les cours [de l’Internet Society] m’ont été très utiles, » explique Makawa’awa’a. « Nous avons découvert les différents aspects de la création d’un réseau, et la signification des acronymes. Vous pouviez avoir quelqu’un qui ne connaissait rien à Internet, mais qui, au bout de huit semaines, pouvait au moins comprendre ce qui se disait, et exprimer son propre point de vue. »
Pour aider les habitants de Waimānalo à mettre en place le réseau, Baicells un producteur de technologies LTE et 5G de pointe, a envoyé des formateurs et des experts. L’organisation a mis en place des ateliers qui se concentraient sur les réseaux LTE et l’équipement sans fil nécessaire pour ces réseaux au sein de la communauté. Les formateurs ont appris aux résidents à assembler les câbles Ethernet et à assurer la maintenance du système une fois les experts partis.
L’entreprise a fourni une formation technique et des produits pour une valeur d’environ 20 000 $, dans le cadre de sa mission visant à connecter les non connectés et à renforcer la portée mondiale d’Internet.
Des membres de la communauté de Pu’uhonua O Waimānalo ont collaboré avec l’Internet Society pour apprendre à utiliser et à installer Internet durant la séance de formation Internet Society / Pu’uhonua O Waimānalo du 14 novembre 2019.
Colin Kippen, État de Hawaï ; Burt Lum, chef de l’initiative large bande d’Hawaii et responsable du Chapitre d’Hawaï ; Bumpy Kanahele, chef d’État, Nation de Hawai’i.
Construction du réseau
La topographie de Pu‘uhonua o Waimānalo rendait difficile une connexion à Internet classique, c’est l’une des raisons pour lesquelles le choix s’est porté sur un réseau communautaire, construit et géré par les habitants.
Le premier grand obstacle à surmonter était l’accès à la dorsale. Si Hawaiian Telecom disposait d’un point de connexion à la fibre en périphérie de la communauté, celle-ci avait également besoin d’une deuxième connexion à la fibre pour assurer un accès fiable à chacun dans le village.
Afin de créer cette deuxième connexion à la fibre entre la mairie et le premier point de connexion, il fallait creuser une tranchée. Un intégrateur système local a obtenu le matériel nécessaire à la connexion, et les habitants ont creusé eux-mêmes la tranchée.
Les habitants de Waimānalo se sont retroussé les manches, et ont creusé une tranchée pour faire parvenir la connexion à la fibre, à la mairie.
« Nous avions déjà posé nos propres canalisations d’eau, nous avions creusé nos propres tranchées, et les tranchées pour la fibre sont identiques aux tranchées pour une canalisation, explique Makawa’awa’a. « Ensuite, nous devions connecter tous les éléments ensemble. Nous avons suivi un atelier avec des personnes qui sont venues nous aider, ce qui a été crucial, car, maintenant que nous sommes seuls, nous devons faire les choses par nous-mêmes, et nous pouvons le faire car ils nous l’ont appris. »
Chacune des fibres utilisées avait une capacité de 1 Go/s. Ensemble, elles offrent un débit total de 2 Go/s pour la communauté.
La connexion à haut débit permet d’accéder aux savoirs. Lorsque vous avez accès au monde, c’est parfait. Les gens deviennent des génies du jour au lendemain. La communauté déchaîne toute sa créativité. »
Une fois la mairie mise en ligne, les habitants devaient avoir la possibilité de s’y connecter. Mais le réseau communautaire du village était confronté à un autre défi : les arbres. La plupart des réseaux communautaires utilisent le Wi-Fi pour la connexion au sein de la zone concernée, mais les larges troncs d’arbres bloquaient ces types de signaux. Pourtant, les habitants devaient se connecter sans fil. Ils devaient trouver un moyen de surmonter cet obstacle.
Spencer Sevilla, de l’université de Washington, a trouvé une solution : la technologie d’évolution à long terme (données LTE), que les téléphones portables utilisent pour se connecter aux tours de téléphonie cellulaire, utilise des longueurs d’onde différentes.
La LTE n’est pas le choix habituel pour les réseaux communautaires, car les bandes de spectre LTE sont généralement sous licence et soumises à réglementation, ce qui entraîne leur rareté de manière artificielle. Mais, à Waimānalo, la solution LTE a été sélectionnée pour fonctionner sur une bande de spectre de 5 GHz sans licence, que la communauté peut donc utiliser gratuitement dès lors qu’elle dispose des équipements requis, qui lui ont été offerts par Baicells.
John Garcia, un membre de la communauté, a joué un rôle majeur dans la mise en place du système et la formation des résidents à son utilisation. Depuis que le réseau a été installé, c’est l’un des principaux responsables de son entretien.
J’ai la chance de disposer d’une formation en technologies et communications, et je veille donc à ce que nous soyons connectés physiquement pour pouvoir être connectés numériquement. L’accès à Internet nous permet de nous connecter et de faire évoluer ce que nous faisons ici, mais aussi de développer les compétences et les contenus numériques. Ces 12 derniers mois, l’évolution a suivi un rythme effréné. »
John Garcia a collaboré avec l’Internet Society et avec Baicells pour enseigner à ses pairs le fonctionnement des routeurs, les moyens de trouver des solutions et de résoudre des problèmes de connexion, notamment les défaillances de l’infrastructure et les applications de base d’Internet. Les habitants avaient beaucoup de choses à apprendre.
Les membres de la communauté ont participé à des ateliers axés sur les réseaux LTE et les équipements sans fil leur permettant de mettre en place le réseau communautaire et d’en assurer la maintenance en vue de sa durabilité.
Connection au monde
À Pu‘uhonua o Waimānalo, Internet représente une connexion à un marché mondial, et la possibilité pour ses habitants d’améliorer leur niveau d’éducation et d’entrepreneuriat.
Cela implique d’apprendre à la communauté les applications de base d’Internet et l’utilisation de routeurs. Nous devons nous montrer à la hauteur de ces possibilités. De nombreux entrepreneurs locaux peuvent désormais se connecter et travailler depuis leur domicile. Nous sommes passés de l’absence de connectivité à l’existence d’une connexion, puis à la possibilité de contrôler et de développer cette connexion. »
Déjà, le peuple de la nation récolte les fruits d’une meilleure connexion à Internet grâce au réseau communautaire. Le haut débit de la communauté a servi de prototype et de test, et permet de donner accès aux outils permettant un échange de pair à pair au sein du village et avec l’étranger. Ainsi, une application nommée Exchange Ave offre une plateforme d’échange et de négociations commerciales. Elle compte déjà 700 membres, et a permis 200 échanges au cours des six derniers mois.
Brandon Makawa’awa’a, vice-chef d’État, Nation de Hawai’i
Plus localement, les efforts de renforcement de la communauté en ligne et de communication sur les médias sociaux menés par la Nation de Hawai’i permettent d’améliorer l’accès aux biens de santé et de bien-être, avec des articles de marque et des articles sous-traités par des partenaires de la communauté, ce qui représente une source de développement économique pour la nation. Les produits sont fabriqués par les citoyens de la Nation, et les profits leur en reviennent.
L’application L’oil 2 My Soil permet aux villageois de vendre des huiles essentielles pures et des sprays hydrosols produits à partir de feuilles d’eucalyptus, une espèce invasive au niveau local. Des applications pour l’agriculture gèrent le suivi, les cycles et les ventes. L’application Bee Apiary, quant à elle, suit l’activité des ruches et de la reine.
Mais les échanges économiques ne sont pas les seuls à bénéficier de l’amélioration du débit Internet dans le monde de l’entreprise. La création de contenus est également essentielle et les membres de la communauté rejoignent des plateformes de médias sociaux, écrivent, créent des vidéos, font passer des messages et expriment leur fierté et leur héritage sur Internet.
Avec une faible population répartie sur une superficie restreinte, il est extrêmement difficile de s’affirmer en tant que pays indépendant. Les habitants ont créé leur propre infrastructure. Ils ont conçu leurs propres logements et entreprises, ils s’occupent eux-mêmes de l’éducation et collaborent avec les agences nationales et fédérales et avec des entreprises pour avoir accès à l’électricité et à d’autres services nécessaires.
« Puisque nous sommes exclus par le gouvernement. . . pour le financement et les ressources, la question est désormais ce que nous allons faire en tant que nation pour notre communauté, » déclare Kanahele. Tous les autres aspects (logement, santé, etc.), nous nous en occupons ici, dans le village, mais l’Internet Society a été un élément déclencheur pour nous permettre d’obtenir de l’aide. »
L’absence d’Internet était simplement le nouvel obstacle à une longue série d’avancées technologiques, et Internet va rendre ces avancées possibles. C’est pourquoi, dans ce cas, Internet joue un rôle dans la mise en exergue des droits de l’homme. Désormais, Pu‘uhonua o Waimānalo a une occasion sans précédent de réaliser le potentiel que ses chefs lui ont trouvé durant des siècles.
Ce sont les difficultés auxquelles la Nation de Hawai’i est confrontée qui nous ont empêchés d’obtenir les ressources que nous aurions dû obtenir depuis le début. En tant que nation, nous aimons être en mesure de nous connecter à d’autres continents, nous voyons les choses d’un point de vue national.»
Le village espère créer une bibliothèque et des supports pédagogiques pour pouvoir diffuser des contenus depuis l’île vers le monde entier. Avec la pandémie de COVID-19, cette technologie est arrivée juste à temps.
« Il était vraiment essentiel que nous ayons mis en place cette connexion, faute de quoi nos enfants ne pourraient pas aller à l’école aujourd’hui, a déclaré Makawa’awa’a. « Le système que nous avons désormais (vote et gouvernement par chaîne de blocs) serait impossible sans Internet.»
Waimānalo est un modèle à suivre pour les autres zones rurales de Hawaii, explique Makawa’awa’a. Cette expérience est vue comme un programme pilote, et, en testant différentes technologies, elle a permis d’aider d’autres acteurs à rechercher la meilleure manière de développer leur accès à Internet. Ils espèrent ouvrir la voie pour que leur peuple puisse changer les choses à l’échelle mondiale et obtenir la reconnaissance mondiale qu’il mérite.
« En fin de compte, il s’agit de l’identité et il s’agit de la connectivité du village, » explique Garcia, « comment le village se connecte au monde et comment nous nous connectons à nous-mêmes. »
Images: © 2019 Elyse Butler