Développer l'Internet 23 juillet 2024

Rapport 2024 sur la rupture d’un câble sous-marin en Afrique de l’Est

Le 12 mai 2024, deux câbles sous-marins à fibre optique (SEACOM et EASSy) ont été endommagés au large des côtes du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, réduisant considérablement la connectivité Internet dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est. L’endommagement est probablement dû à une ancre de navire, source courante de ruptures de câbles sous-marins.

Tous les câbles ont été réparés le 3 juin 2024, soit environ trois semaines après les dommages initiaux.

Ce rapport souligne l’impact de ces ruptures de câbles sous-marins sur la connectivité locale et l’importance de développer une infrastructure résiliente pour maintenir un niveau de service acceptable face à de telles pannes.

L’importance des câbles sous-marins

Les câbles sous-marins de fibres optiques sont des infrastructures de communication essentielles sur lesquelles repose la connectivité Internet internationale. Actuellement, environ 559 systèmes de câbles sous-marins s’étendent sur 1,5 million de kilomètres, et relient les petites îles du Pacifique aux grandes économies d’Afrique, d’Asie et des Amériques. 

En 2009, les premiers câbles sous-marins ont été activés sur la côte de l’Afrique de l’Est, offrant ainsi une alternative à la connectivité par satellite à de nombreux pays de la sous-région. Non seulement ces câbles ont réduit la latence dans la sous-région de 400 %, mais ils ont également réduit les coûts de connexion à l’Internet de plus de 50 % : à l’époque, un mégaoctet par seconde (Mo/s) de capacité satellite coûtait environ 2 000 dollars américains par mois ou plus.

Depuis lors, cinq autres câbles sous-marins de fibres optiques ont été mis en service pour relier les pays d’Afrique de l’Est au sud du Kenya (Figure 1). 

African submarine cable map

Figure 1 — Carte des câbles sous-marins africains. Source : Nombreuses possibilités.

Si ces câbles sous-marins profitent principalement aux pays littoraux connectés directement via des stations d’atterrage, les pays voisins enclavés en bénéficient également via des connexions terrestres transfrontalières en fibre optique. Par exemple, le câble terrestre transfrontalier qui relie Kampala, en Ouganda, à la station d’atterrage de Mombasa, au Kenya, fournit une capacité sous-marine à l’Ouganda, réduisant ainsi les coûts de connectivité et la latence.

Le tableau 1 ci-dessous présente les câbles sous-marins et les câbles terrestres transfrontaliers qui assurent la connectivité dans la sous-région.

PaysCâbles sous-marinsLiaisons transfrontalières terrestres vers
BurundiAucunRépublique démocratique du Congo, Rwanda et Tanzanie
Kenya2Africa, Africa-1, DARE-1, EASSy, LION2, PEACE, SEACOM, TEAMSÉthiopie, Somalie, Soudan du Sud, Tanzanie et Ouganda
MalawiAucunMozambique, Tanzanie et Zambie  
Mozambique2Africa, EASSySEACOMEswatini, Malawi, Afrique du Sud, Tanzanie, Zimbabwe et Zambie
RwandaAucunBurundi, République démocratique du Congo, Tanzanie et Ouganda
Afrique du SudACE, EASSy, Equiano, METISS, SEACOM, SAFE, SAT-3, T3, WACSBotswana, Eswatini, Lesotho, Namibie, Zimbabwe
TanzanieEASSySEACOM, SEASBurundi, République démocratique du Congo, Kenya, Malawi, Mozambique, Rwanda, Ouganda et Zambie
OugandaAucunRépublique démocratique du Congo, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Soudan du Sud
ZimbabweAucunBotswana, Mozambique, Namibie, Afrique du Sud et Zambie
Tableau 1 — Liaisons câblées transfrontalières sous-marines et terrestres. Source : TeleGeography et UIT

Bien que les informations sur le volume de trafic circulant sur les câbles sous-marins et terrestres ne sont pas divulguées, on estime en moyenne un volume de trafic de 2 000 Gigaoctets par seconde (ou deux téraoctets par seconde) émane de la sous-région (Figure 2).

Intra-African routes map

Figure 2 — Routes intra-africaines, 2023. Source : TeleGeography.

Ben Roberts, directeur technique chez Liquid Intelligent Technologies, explique que la majeure partie de cet échange de trafic se fait avec l’Afrique du Sud, où se trouvent plusieurs hyperscalers qui proposent des services cloud. 

« Des instances de ces hyperscalers ont été annoncées en Afrique du Sud, et ont déjà été lancées. Le Kenya (et le Nigéria) n’ont pas encore d’infrastructure cloud hyperscale, mais disposent de plusieurs « points de présence » et plusieurs projets de « zones de présence » ont été annoncés. »
Ben Roberts

Le Burundi, le Malawi, le Mozambique, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda comptent principalement sur SEACOM et EASSy pour accéder à ces hyperscalers en Afrique du Sud et ont été, à ce titre, les pays les plus touchés par la panne.

Heureusement, aucun pays n’a connu de coupure d’Internet totale grâce à l’existence de liens alternatifs sous-marins et terrestres, de points d’échange Internet et de caches de contenu local.

L’importance des IXP

Un IXP est une infrastructure réseau physique, parfois située dans un centre de données, où différents réseaux s’interconnectent et s’échangent du trafic. C’est ce qu’on appelle le peering, qui contribue à rendre les services Internet plus rapides, plus fiables et éventuellement moins chers.

Le tableau 2 ci-dessous indique le nombre d’IXP dans chaque pays et la proportion de réseaux locaux physiquement connectés aux IXP dans ce pays.

PaysNombre d’IXPProportion des réseaux locaux directement connectés à un IXP dans ce pays
Burundi155,56%
Kenya830%
Malawi229,03%
Mozambique137,93%
Rwanda117,86%
Afrique du Sud1054,02%
Tanzanie629%
Ouganda114,29%
Zimbabwe0N/A
Tableau 2 — Le nombre d’IXP et la proportion de réseaux locaux accessibles via les IXP dans le pays sélectionné. Notez que le pourcentage ne prend pas en compte les réseaux locaux indirectement connectés à un IXP via les réseaux directement connectés. Source : Pulse IXP Tracker.

Les IXP donnent également un aperçu de la connectivité du trafic local. Les graphiques suivants montrent le trafic Internet local acheminé chaque jour par les IXP en République démocratique du Congo (GOMIX), au Kenya (KIXP), au Rwanda (RINEX), en Tanzanie (TIX) et en Ouganda (UIXP) avant et après la rupture de câbles du 12 mai dernier et illustrent l’impact de ces ruptures de câbles sur les volumes de trafic.

A chart showing Internet traffic in the DRC
A chart showing Internet traffic in Kenya
A chart showing Internet traffic in Rwanda
A chart showing Internet traffic in Tanzania
A chart showing Internet traffic in Uganda

Figure 3 — De haut en bas, trafic Internet local journalier étant acheminé par l’IXP  en République Démocratique du Congo (GOMIX), au Kenya (KIXP), au Rwanda (RINEX),  en Tanzanie (TIX), et en Ouganda (UIXP) au cours de la période précédant et suivant les pannes de câbles sous-marins du 12 mai. Le cercle indique l’impact de la coupure.

Au Rwanda, les services en ligne surtout ceux basés sur le cloud (accessibles à distance) ont été particulièrement touchés. Cependant, les statistiques de RINEX (IXP du Rwanda) ont montré une légère baisse du trafic par rapport aux autres IXP de la sous-région. Par contre, en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya et en République démocratique du Congo, il y a eu des baisses significatives du trafic, équivalant à plusieurs gigaoctets par seconde de différence par rapport aux tendances normales.

L’Internet Society a mené de nombreuses activités pour soutenir la création et le développement d’IXP dans les pays touchés par cette rupture, dont des ateliers de formation, des dons de matériel, des subventions pour le remplissage de cache et l’organisation de forums de peering pour promouvoir l’écosystème Internet local et le renforcement de la communauté technique locale. 

L’importance de la proximité de contenus disponibles

Il est également fréquent que les IXP hébergent ou fournissent un accès aux réseaux de diffusion de contenu (CDN) qui diffusent les contenus les plus vues de façon locale. Le tableau 3 montre le pourcentage des 1 000 sites Web les plus visités par pays et si les contenus sont hébergés dans le pays en question, dans la région et hors région. 

PaysDans le paysDans la régionHors région
Burundi10,1%54,1%35,5%
Kenya60%14,8%25%
Malawi13,3%57,1%29,5%
Mozambique15,2%53,4%31%
Rwanda19,6%50,6%29,6%
Afrique du Sud86,1%0%13,7%
Tanzanie24,9%48%26,9%
Ouganda13,3%54,8%31,4%
Zimbabwe38,1%24,7%36,9%
Tableau 3 — Lieu d’hébergement des sites Web les plus visités de chaque pays. Source : Rapports Pulse par pays.

Les serveurs de cache doivent être connectés à Internet pour actualiser leur contenu. Lorsque la connectivité Internet est indisponible ou de mauvaise qualité, les nouveaux contenus ne peuvent pas être téléchargés par ces serveurs, ce qui pourrait rendre le service inutilisable.

À la suite de la panne du 12 mai, Lilian Achom, membre du chapitre ougandais de l’Internet Society, a ainsi signalé avoir eu des difficultés à accéder aux pages des réseaux sociaux et aux ressources pédagogiques en ligne. Nazarius, de notre chapitre de Tanzanie, a signalé avoir ressenti une forte dégradation de la qualité de service pendant plusieurs heures.

Cloudflare et Kentik ont ​​tous deux noté dans leurs comptes-rendus de l’incident que la Tanzanie avait connu la plus forte réduction des performances Internet.

L’importance de la redondance et de la coopération 

Internet est conçu de telle sorte que, lorsqu’un chemin ne fonctionne pas, le trafic peut être automatiquement redirigé vers un autre. Plus il existe de routes diverses (donc plus de redondance), moins les utilisateurs seront susceptibles d’être touchés ou de remarquer des problèmes de performances.

Grâce à BGPlay, nous pouvons reconstituer la panne et visualiser comment le trafic a été redirigé vers les réseaux en Tanzanie.

Alors que les IXP et les caches CDN contribuent à compenser l’impact des ruptures de câbles internationales, les événements du 12 mai ont mis en évidence le niveau de redondance de la connectivité internationale dont disposent les pays de la région. Le trafic redirigé via d’autres câbles sous-marins fonctionnels a rapidement encombré ces autres routes, qui n’étaient pas en mesure, ou en capacité, de transporter de telles charges.

Liquid Intelligent Technologies et SEACOM ont fait preuve d’une grande collaboration et ils ont travaillé ensemble pour fournir une connectivité alternative pendant la panne.

L’organe de régulation kenyan, la Communication Authority, a publié le 13 mai des informations sur X (anciennement Twitter) sur la situation et l’utilisation du câble TEAMS à des fins de redondance. Les opérateurs de réseaux mobiles Safaricom et Airtel ont également publié des mises à jour indiquant qu’ils avaient étudié et mis en œuvre une connectivité alternative pour maintenir les services pendant la panne.

Ces efforts sont encore un exemple de l’efficacité croissante de la communauté technique qui soutient et développe de façon continue Internet en Afrique.

La voie vers une meilleure résilience d’Internet 

Le 23 mai, moins de deux semaines après la rupture de la fibre, Google a annoncé le développement d’un nouveau câble terrestre et sous-marin baptisé Umoja, qui sera ancré au Kenya et traversera l’Ouganda, le Rwanda, la République démocratique du Congo, la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud et reliera également l’Afrique à l’Australie.

« [Umoja] changera la donne pour l’Afrique de l’Est et réduira la latence en particulier en Ouganda, au Rwanda et dans l’est de la RDC, en leur donnant un accès direct à des contenus importants en Afrique du Sud. Cela améliorera considérablement la façon dont nous construisons nos réseaux en Afrique et réduira notre dépendance à l’égard de la capacité sous-marine pour cette importante connectivité intra-africaine « du Cap au Caire » dont nous avons été les pionniers. »
Ben Roberts

Le câble Umoja s’ajoutera à d’autres câbles prévus ou en construction autour de l’Afrique, notamment :

Ces nouveaux câbles pourraient également encourager davantage de fournisseurs de cloud computing et de CDN global à établir des points de présence et à héberger du contenu dans davantage de pays de la sous-région, rapprochant ainsi le contenu des utilisateurs et rendant son accès moins cher et plus rapide. La croissance récente des investissements dans les centres de données est un signe positif du développement des infrastructures qui rend davantage de contenu local disponible via les IXP.

Les IXP continueront également à jouer un rôle central dans le transit du trafic local et devraient connaître une croissance continue d’année en année du nombre de membres et du trafic à mesure que l’utilisation d’Internet dans les pays d’Afrique de l’Est continue d’augmenter.

A line graph showing IXP traffic in Kenya in 2024

Figure 4—Au premier semestre 2024, le trafic vers les IXP au Kenya a augmenté de plus de 25 %. Source : Pulse IXP Tracker.

Si ces infrastructures critiques sont importantes pour la performance globale d’Internet dans n’importe quel pays, elles ne constituent que deux parties d’un écosystème complexe qui sous-tend la résilience d’Internet.

L’Indice de résilience d’Internet (IRI) Pulse aide à comprendre les différents facteurs associés à la santé et à la résilience d’Internet dans plus de 170 pays. Si l’on considère les pays touchés par cette panne (Tableau 4), malgré dans certains cas la présence d’un câble sous-marin de secours et de plusieurs IXP, il existe de nombreuses possibilités d’améliorer leur résilience afin qu’ils puissent maintenir un niveau de service plus acceptable face aux futurs problèmes.

PaysNombre de câbles sous-marinsNombre d’IXPScore de l’Indice de résilience d’Internet (IRI)
Burundi0127 %
Kenya8841 %
Malawi0229 %
Mozambique3130 %
Rwanda0149 %
Tanzania3638 %
Afrique du Sud111053 %
Ouganda0142 %
Zimbabwe0031 %
Tableau 4 — L’interconnectivité et le peering local sont deux des nombreux facteurs qui affectent la résilience Internet d’un pays.

Tous ces efforts et les leçons tirées de cette panne et d’autres pannes à grande échelle mettent en évidence l’importance du travail que l’Internet Society a accompli et continuera d’accomplir pour accroître la résilience d’Internet et donner les moyens nécessaires à ceux qui défendent et développent Internet dans tous les pays du monde.

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