Résumé
Au fur et à mesure que l’Internet se mondialise, l’interconnexion entre les réseaux, les fournisseurs de contenu et les utilisateurs devient de plus en plus primordiale au développement du « réseau de réseaux » qu’est l’Internet. Au cœur de cette mondialisation figurent les points d’échange Internet (Internet Exchange Point, IXP), des entités qui permettent à tous les acteurs de l’Internet de s’interconnecter directement les uns avec les autres, améliorant ainsi la qualité de service et réduisant les coûts de transmission. Les IXP ont déjà joué un rôle clé dans le développement d’un écosystème Internet de pointe en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Ce document décrit en détail l’impact que les IXP ont eu dans deux marchés émergents en Afrique sub-saharienne : le Kenya et le Nigeria. Les avantages pour les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) comprennent les économies de coûts de la capacité internationale, alliées à une meilleure qualité de service résultant en revenus supplémentaires pouvant atteindre plusieurs millions de dollars par an.
Les IXP suivent généralement une voie d’évolution progressive, en s’appuyant sur le nombre et la diversité croissants de leurs membres au fil du temps. Au début du cycle de développement d’Internet dans la plupart des pays, les FAI trouvent souvent rentable d’utiliser leurs connexions internationales pour échanger du trafic local, un processus appelé « tromboning » ou « effet trombone ». L’effet trombone est le résultat d’une action unilatérale, où chaque FAI décide qu’il est plus rentable d’utiliser ses connexions internationales pour l’échange de trafic local que de se connecter à tous les autres FAI séparément. Cependant, l’utilisation de la capacité internationale pour le trafic domestique est coûteuse, et cet effet trombone peut être éliminé, avec des économies de coûts correspondantes, si les FAI adoptent une approche coopérative pour créer un IXP local où le trafic local peut être échangé.
La mise en place d’un IXP dans le pays permet aux FAI locaux de se connecter directement entre eux et d’échanger du trafic local, généralement via un accord de « peering » sans compensation financière, réduisant ou éliminant ainsi l’effet trombone et économisant les coûts de transit international, tout en réduisant le temps de latence (en évitant au trafic local d’être échangé au niveau international). Lorsque l’IXP commence à constituer une masse critique, impliquant la plupart ou la totalité des FAI, il attire progressivement les fournisseurs de contenu ainsi que les entreprises, les universitaires et les utilisateurs gouvernementaux, et devient ainsi le centre d’un écosystème Internet dynamique dans le pays. Par la suite, l’IXP peut également commencer à attirer les fournisseurs de contenu international et de connectivité, devenant ainsi une plaque tournante régionale pour le trafic Internet.
Les avantages de la localisation de l’interconnexion Internet augmentent progressivement, en raison de la demande croissante des consommateurs pour des services requérant plus de bande passante (comme la vidéo) et ayant un seuil de tolérance plus faible pour les temps de latence (comme la voix sur IP). Dans les pays développés, les IXP ont joué un rôle clé dans le développement de l’écosystème Internet au cours des 15 dernières années. Aujourd’hui, les IXP se développent progressivement en Afrique,
malgré un environnement économique et un marché des télécommunications plus difficiles.
Dans ce rapport, les avantages engendrés par les IXP ont été quantifiés pour deux pays africains : le Kenya et le Nigeria. Dans chacun de ces pays, les IXP sont en plein essor et contribuent à la croissance de l’écosystème Internet environnant d’un certain nombre de façons :
- Au Kenya, le point d’échange Internet (KIXP) localise actuellement plus de 1 Gbit/s de trafic en heure de pointe, ce qui réduit considérablement le temps de latence (de 200-600 ms à 2-10 ms en moyenne), tout en permettant aux FAI d’économiser près de 1,5 million de dollars par an sur la connectivité internationale. L’IXP augmente également les revenus du trafic de données mobile d’environ 6 millions de dollars pour les opérateurs ayant généré un trafic supplémentaire d’au moins 100 Mbit/s par an1, contribue à la localisation de contenu dans le pays (y compris à partir de Google), est essentiel pour augmenter les recettes fiscales du gouvernement, et agit de plus en plus comme une plaque tournante régionale pour le trafic en provenance des pays voisins.
- Au Nigeria, le point d’Echange Internet (IXPN) localise actuellement 300 Mbit/s de trafic en heure de pointe avec une réduction correspondante des temps de latence, et permet aux opérateurs nationaux d’économiser plus d’un million de dollars par an sur la connectivité internationale. La présence de l’IXP a incité Google à placer un serveur de cache au Nigeria comme première étape du projet de construction de l’infrastructure Google à Lagos, et est au centre d’un partenariat pour améliorer les communications entre les universités. L’IXP a également contribué au rapatriement des plates-formes financières précédemment externalisées pour les services bancaires en ligne.
Ces répercussions sont résumées dans la Figure 1.1 ci-dessous. Dans l’ensemble, les IXP ont eu pour effet direct de réduire les coûts d’exploitation des FAI locaux, tout en augmentant le trafic, et le cas échéant leurs recettes, avec des avantages supplémentaires pour les secteurs ayant intégré l’IXP dans
leur prestation de services, notamment l’administration fiscale au Kenya, et les secteurs de l’éducation et de la banque au Nigeria. Enfin, on peut s’attendre à ce que, au fil du temps, avec la baisse des coûts de la bande passante internationale, les IXP permettent de réduire les tarifs d’accès à Internet et entraînent une augmentation de la pénétration et de l’utilisation de l’Internet.
Avantage | KIXP | IXPN | Résumé |
Temps de latence | Réduit de 200-600 ms à 2-10 ms | Réduit de 200-400 ms à 2-10 ms | Augmentation notable des performances pour les utilisateurs finaux |
Échange de trafic local | 1 Gbit/s maximum | 300 Mbit/s maximum | Économies sur le transit international de plus d’un million de dollars par an dans chaque pays |
Contenu | Réseau Google présent localement, avec réacheminement du contenu national | Comme au Kenya | Augmentation de l’utilisation et des recettes correspondantes pour le trafic de données mobile |
Gouvernement virtuel | L’administration fiscale au Kenya prélève les impôts en ligne | Utilisation par les réseaux d’éducation et de recherche | Avantages sociaux découlant de l’accès du gouvernement virtuel aux IXP |
Autres avantages | Quantité croissante du trafic régional échangé par le KIXP | Plates-formes financières hébergées localement | Autres avantages économiques résultant des IXP |
Au sein de leurs régions respectives, le Kenya et le Nigeria occupent une position forte en ce qui concerne l’accès et l’utilisation d’Internet, reflétant un certain nombre de variables interdépendantes : un environnement macro-économique positif, un environnement des télécoms libéralisé et dirigé par un organisme de contrôle largement respecté, une augmentation importante de la capacité internationale et un secteur de téléphonie mobile fort et concurrentiel. Il faut toutefois inclure dans cette liste les IXP, dont le succès se nourrit de ces autres variables, mais qui contribuent également à les alimenter. Un IXP contribue notamment à offrir les avantages de la libéralisation (baisse des prix et plus grande utilisation), ce qui peut apporter un soutien et de la crédibilité lors d’efforts supplémentaires pour libéraliser et développer le secteur. Les IXP peuvent également contribuer à améliorer la connectivité entre les pays voisins, en augmentant davantage l’utilisation et les bénéfices d’Internet.
Des exemples d’IXP plus avancés devraient encourager les parties prenantes en Afrique à accroître leur utilisation des points d’échange, afin de réduire leurs coûts et améliorer la qualité de leurs services. En outre, les décideurs politiques devraient aider à promouvoir la création et le développement des IXP en adoptant des réformes du secteur le cas échéant et en offrant un soutien ciblé si possible, étant donné que les IXP avancés profitent en fin de compte à l’ensemble de l’écosystème.